Haile Gebresselassie (1), la naissance d’un champion

Haile Gebresselassie est souvent considéré comme le plus grand coureur de l’histoire. Pas uniquement pour son palmarès, mais aussi pour son aura, son sourire, sa volonté d’aider son peuple, et bien d’autres choses encore. Ses duels contre Paul Tergat ou Kenenisa Bekele resteront dans les mémoires. A lui seul, Gebre a battu 25 records du monde et a réalisé des performances de niveau mondial du 1500m au marathon. Son histoire hors du commun mérite bien d’être retracée. Nous vous proposons plusieurs volets pour découvrir la vie de Haile, son arrivée aux sommets, ses épopées olympiques, ses courses aux records, ses duels, et des anecdotes.

Trois volets seront consacrés à la carrière de Haile Gebresselassie, le premier ici, « La naissance d’un champion », nous emmenera jusqu’aux JO d’Atlanta.

 

Miruts Yifter, héros du petit Haile

L’histoire de Haile Gebresselassie ne démarre pas le 18 avril 1973, jour de sa naissance. Elle démarre plutôt le 27 juillet 1980. Dans une contrée lointaine, à Moscou en Russie, l’Ethiopien Miruts Yifter s’en va remporter l’or olympique sur 10 000m.

Des millions d’éthiopiens ont suivi son exploit à la radio, dont le petit Haile, 7 ans, seul dans un champs, en pleine chaleur, avec une radio collée à l’oreille. Haile a pris un grand risque en écoutant cette course. La radio était l’unique propriété de son père, qui ne voulait pas gaspiller des piles pour autre chose que les informations. Pas de musique, et surtout pas de sport. Surtout dans cette période de turbulences, l’Ethiopie connait la destitution de l’empereur Haile Selassie et l’émergence de groupes révolutionnaires socialistes.

Haile ne sera pas déçu par Miruts Yifter, réputé quasi imbattable grâce à son finish ravageur dans le dernier tour. On le surnomme d’ailleurs Yifter the Shifter (qu’on pourrait traduire par Yifter le finisseur). Alors qu’Emil Zatopek ou Ron Clarke imprimaient le rythme et gagnaient grâce à des courses au train, Yifter a révolutionné le 10 000m, surtout en grand championnat. Cette accélération brutale dans le dernier tour sera également la marque de fabrique de Haile Gebresselassie, puis plus tard de Kenenisa Bekele.

 

A 7 ans déjà, Haile allait chercher de l’eau à des kilomètres et parcourait presque 10km aller, et 10km retour pour aller à l’école. A l’école, il est un enfant curieux, et envieux de découvrir le monde.
« Je veux être champion olympique du 10 000m comme Miruts Yifter ; je veux faire quelque chose de spécial, quelques chose de grand ; je veux être le plus grand coureur de tous les temps ! »

Haile avait simplement du mal à comprendre, lui qui avait si peu, comment courir (ce qu’il faisait tous les jours) pouvait attirer tant d’attention pour son pays. « Comment est-ce possible ? Comment un homme peut être si spécial ? Être à la radio tous les jours, il ne doit pas être quelqu’un de normal. Il doit être très différent ». L’intérêt de la radio réside justement dans l’imaginaire. Quelqu’un qu’on n’a ni vu à la télévision, ni dans les journaux, à quoi peut-il ressembler « Est-il grand, gros ? Est-il totalement différent des gens, comme un Dieu ou un esprit ? »

Ce n’est qu’en 1990, encore adolescent, qu’il rencontre pour de vrai Yifter, lors d’une course nationale. Un de ses amis lui montre qui est Yifter. Haile, stupéfait et surpris, ne parvient pas à aller voir son idole. Il ne ressemblait tellement pas à ce qu’il imaginait, qu’il idolâtrait comme fort, et puissant, une force de la nature. En fait il était parfaitement normal, et même plutôt petit, dégarni et un peu âgé, bien loin de son imaginaire. Alors Haile se dit, après tout, pourquoi quelqu’un d’aussi normal que lui-même ne pourrait-il pas lui aussi devenir champion olympique.

Les réticences de son père

Son père, Gebresselassie Bekele, homme concerné par la survie de sa famille, voyait d’un mauvais œil qu’Haile « gaspille » son temps à courir. Pour lui ça ne pouvait être que quelque chose d’amusant, qui ne permet en aucun cas de gagner de l’argent.

« Mes frères et sœurs faisaient parfois mon travail à la ferme pour que je puisse aller courir. Les samedis, j’allais concourir contre les autres garçons du village. C’était si excitant, ça me permettait de m’échapper. J’ai toujours été grandement encouragé par mon professeur de sport aussi. Il me disait que je pouvais être un coureur de classe mondiale. Je le croyais. Et mon frère ainé, Tekeye, qui vivait à Addis Abeba et courait des marathons, m’encourageait également. En 1988, à 15 ans, je suis allé lui rendre visite pour courir le marathon Adebe Bikila. C’était ma première visite à la capitale. Mon père ne savait pas pourquoi j’y allais. » Il s’en sort fort bien, avec un chrono de 2 heures 48 minutes, mais des ampoules recouvrent ses pieds. Son père découvre alors pourquoi Haile était partit à Addis Abeba et s’en trouve fou de rage.

Ce n’est que lorsque le club de la police locale d’Asela lui offre son soutien pour 15$ par mois que son père commence à envisager un avenir de coureur pour Haile. Il rejoint ses frères Tekeye et Assefa dans un appartement d’une chambre. Il n’a alors pas de devoirs envers la police et peut s’entraîner deux fois par jour. Sa vie reste spartiate, courir, manger, dormir, et se lever chaque matin à 6h.

Il commence vite par impressionner son coach et ses amis coureurs, sur les chemins d’Entoto et sur la piste. Son entraînement est si difficile et régulier que les jours de courses sont presque faciles.

Les premiers titres mondiaux de Haile

A 19 ans, Haile Gebresselassie remporte un doublé 5 000-10 000m au mondiaux juniors à Séoul en 1992 (Le podium du 5000m est révélateur de talents : Le 3e est Hicham El Guerrouj, futur recordman du monde du 1500m et le 2e est Ismael Kirui, futur double champion du monde du 5000m. Le finish du 10 000m est resté dans les annales, Josephat Machuka donnant un coup de point à Haile qui le passe dans les derniers mètres). Haile sait alors qu’il possède un don, comme ses illustres ainés. Et qu’avec plus d’entrainement, il devrait connaître le succès. « C’est à ce moment là que j’ai commencé sérieusement à penser aux Jeux d’Atlanta 1996. »

En 1992, une autre obsession lui vient à l’esprit. Une fille splendide vendant des sodas, au doux nom de Alem qui signifie « Monde » . Entre ses cours à elle, et les entraînements de Haile, ils passent tout leur temps libre ensemble. Après des débuts hésitants, ils deviennent très complices et cela l’aide à avoir un équilibre avec la course à pied. Pour Alem, peu importe que Haile devienne un champion.

Dès 1993, Haile remporte les championnats du monde de Stuttgart sur 10 000m et la Mercedes Benz qui accompagne chaque lauréat. Quand la Mercedes est livré à Addis Abeba, son père réalise vraiment « oui Haile, je vois que c’est possible de vivre en tant que coureur ». Haile voit enfin toute sa famille derrière lui, tout comme Alem. Il gagne plein de courses autour du monde et gagne pour la première fois beaucoup d’argent. Mais cela reste dur de courir si loin d’Alem.

Les premières courses aux records de Gebre

En 1994, Haile Gebresselassie est encore relativement inconnu par le grand public bien qu’ayant ajouté à son palmarès une troisième place aux mondiaux de cross-country. A Hengelo aux Pays-Bas, le meeting dirigé par son manager Jos Hermans deviendra comme sa seconde maison.

Pourtant pour la première apparition de Haile ici-même, le stade se vide pour la dernière course qu’est le 5000m, déjà satisfait du spectacle donné jusqu’ici. Haile reste concentré sur le rythme qu’il doit suivre. 62’’3 par tour, pour battre le record du monde de Said Aouita en 12’58’’39. Passage en 7’52 au 3000m, il doit maintenant courir 61’’ sur les cinq derniers tours. Le speaker comprend à 1200m du but qu’il est en route pour le record. Mal en a pris à ceux qui sont partis trop tôt des tribunes ! Haile franchit la ligne en 12’56’’96 pour son tout premier record du monde ! On ne reprendra pas les spectateurs de Hengelo partir avant la course de ce nouvel héros éthiopien… qui deviendra le chouchou du public.

Cette année 1994, le monde apprend à connaître cet éthiopien au large sourire. Deux victoires sur 10 000m à Lausanne et Bruxelles, mais quelques défaites sur 3000m et 5000m à Paris, Londres et Monaco.

En 1995, neuf jours après un deuxième record du monde, décroché sur 2 miles en Allemagne (8’07’’46), il revient à Hengelo pour battre le record du 10 000m. Cette fois -ci, tout le public reste bien présent pour encourager l’Ethiopien ! Haile tente d’unifier, pour reprendre l’expression des boxeurs, les records du monde du 5000m et du 10 000m. Pour cela il doit battre le chrono de référence de 26’52’’23 du Kenyan William Sigei.

Il semble facile, relâché, et le stade le soutient comme jamais. A mi-distance, il ne reste plus qu’un seul des trois lièvres, Worku Bikila, qui le laisse seul après 17 minutes. A 2km du but, il commence à souffrir, ouvrir grand ses poumons pour inspirer le maximum d’air. Il tient bon, il tient bon ! Et franchit la ligne d’arrivée en 26’43’’53 soit neuf étourdissantes secondes de mieux que la précédente référence mondiale ! Pas le temps de savourer, le lendemain même, le Kenya reprend un de ses biens grâce à Moses Kiptanui qui améliore le record du monde du 5000m, à Rome.

Les Kenyans justement, Paul Tergat, Joesph Kimani et Josephat Machuka, tentent aux mondiaux de Göteborg 1995 de courir un rythme suffisamment élevé pour éviter le finish dévastateur de Gebresselassie. Cela ne suffit pas et Haile boucle les derniers 200m en un ahurissant 25’’, pour devenir double champion du monde du 10 000m, devant Paul Tergat. Une semaine après, à Zurich, Haile reprend son record du monde du 5000m en explosant littéralement le record (de 11 secondes !), dans un incroyable 12’44’’39. 

La suite de la carrière de Haile Gebresselassie dans Haile Gebresselassie (2) au sommet de son art, où vous découvrirez comment Gebre s’est forgé un palmarès hors du commun. Du haut de ses 1,65m, il mérite bien son surnom de Little Big Man. Certainement le plus grand par son palmarès et ses contributions à son pays.

 

* toutes les citations de l’article sont traduites de l’anglais, tirées de « The Greatest : The Haile Gebresselassie Story » de Jim Denison