Damien Inocencio: « ma place est au saut à la perche »

Damien Inocencio au Stadium Jean Pellez d'Aubière

Trois semaines après l’annonce surprise de Renaud Lavillenie de continuer sans lui, Damien Inocencio a bien voulu répondre aux questions de Culture-Athle. Entretien.

Bonjour, comment allez vous ?
Avez vous repris l’entrainement avec votre groupe malgré l’annonce du départ de Renaud Lavillenie (1) ?

Bonjour, oui j’ai bien sûr repris l’entrainement avec le groupe.
Les athlètes avaient réattaqué l’entrainement le 15 août et dès le 26 août j’ai moi aussi repris le chemin du stade après un petit break post-olympique.
Apres la décision de Renaud j’ai préféré couper quelques jours pour éviter les tensions au stade et pour me poser sur l’intérêt ou pas de continuer à m’investir pour la réussite des autres.

Renaud Lavillenie vous a donc quitté, « sans préavis ». Votre sentiment  technique d’entraineur aujourd’hui sur ce choix de sa part ?

L’athlète et l’entraîneur sont libres de leur choix. Je lui souhaite tout d’abord de réussir, Renaud dit avoir besoin de changement. Je le conçois.
Après au cas particulier j’ai un peu de mal à comprendre pourquoi il est resté à Clermont pour s’entraîner au même endroit, avec les mêmes camarades d’entraînement et quasiment les mêmes méthodes.
Ceci « techniquement parlant », pour répondre a votre question …

Il semble en effet parti sans aller bien loin.
Pensez-vous avec un peu de recul que votre conception de l’entrainement puisse aussi être pour quelque chose dans cette issue ?

Je pense que le problème se situe au niveau de l’ « humain ».
Apres, je suis un éducateur dans l’âme, j’anime énormément les séances et tous les ans je laisse la chance à des perchistes de niveau inferieur d’intégrer le groupe.
La dimension humaine de la pratique de l’entrainement est très présente dans ma conception de l’athlétisme.
Renaud a une vision moins « sociale » de la pratique.
Aujourd’hui en tout cas.
De plus à un certain niveau de pratique il faut laisser énormément l’athlète s’exprimer et le mettre en confiance.
Pour faire simple sur l’exemple de Renaud j’avais placé des objectifs chaque année de la manière suivante :
2009 était l’année de la découverte et de la recherche de son style.
2010 était une année de stabilisation des progrès.
2011 je voulais relancer l’évolution pour pousser plus loin ses progrès.
Et 2012 était à nouveau une année de stabilisation pour être le plus régulier possible pour les JO.
Renaud a ainsi beaucoup évolué entre le moment où il est arrivé à Clermont et sa médaille Olympique.

Merci pour ces explications.
J’ai cru comprendre que votre situation personnelle était du coup devenue compliquée professionnellement ?

Je suis en effet agent d’accueil du conseil général du Puy-de-dôme mais, depuis 2010, mis à disposition de la fédération pour entraîner au Pôle France.
Avec ce détachement ma mission première était de faire gagner Renaud.
On y est pas trop mal arrivé. (2)
Mais cette mise à disposition s’arrête au 31 décembre, ce que nous devions renégocier avec le conseil général deux jours après l’annonce de son départ par Renaud.
Donc cela a effectivement quelque peu changé la donne.
Pour l’heure la fédération et le conseil général ont l’air d’être motivés pour continuer à m’aider à faire ce pour quoi je suis le plus efficace.
J’espère une proposition concrète.
Dans la négative, je repartirai au conseil général pour un emploi à plein temps et j’arrêterai vraisemblablement l’athlétisme dans ce contexte. S’investir de la sorte nécessite d’être absent les soirs, les week-end et d’utiliser encore mes congés pour l’athlétisme. J’ai maintenant deux enfants : ça implique une certaine réflexion.

Et avez-vous par ailleurs des objectifs professionnels personnels à moyens termes dans ou hors athlétisme ?

J’aimerai bien sûr continuer à entraîner et transmettre ma passion avec une situation professionnelle en phase.
Pour cela il faut que je puisse aussi me former pour passer des concours : actuellement BE2, j’aimerai devenir conseiller technique ou conseiller territorial, ce qui me permettrait de continuer à m’engager dans le haut-niveau sans avoir à m’inquiéter de mon avenir après chaque saison.
Si je ne trouve pas une solution en France, Je chercherai peut être plus activement une solution à l’étranger pour découvrir aussi une autre façon de pratiquer l’entrainement.

Vous avez donc d’autres perspectives possibles dans l’entraînement. Des contacts possibles à l’étranger ?

Oui, si je dois partir à l’étranger j’ai des contacts un peu partout dans le monde.
Depuis quelques années je collabore en tant que formateur pour l’IAAF à Dakar pour le développement de la perche. J’interviens aussi dans des colloques internationaux comme le colloque IFAC de Glasgow très prochainement.
J’ai ainsi un bon réseau d’amis entraîneurs à travers le monde en ayant également accueilli des stages internationaux sur Clermont Ferrand avec des participants venus de différents pays.
Des possibilités donc mais partir à l’étranger n’est pas mon souhait premier.

Maurice Houvion a connu la consécration en tant qu’entraîneur par un record du monde (Philippe Houvion 5,77m en 1980) et par un titre olympique. Connu ainsi par sa longue collaboration avec Jean Galfione, prédécesseur de Renaud au palmarès olympique, pensez vous que cette époque est désormais révolue et qu’un entraineur de haut niveau doit s’inscrire désormais dans une logique à court voire moyen terme, mais pas davantage ?

Non je ne pense pas qu’il faille généraliser.
C’est plus une histoire de relations humaines : il y a des athlètes qui sont plus stables que d’autres.
Je pense que cette époque n’est pas révolue et que l’on peut encore rencontrer des athlètes de haut niveau attachés à leurs entraîneurs.
A l’époque de Jean et de Maurice il y avait aussi des athlètes zappeurs.

Oui , une période que vous avez connu en tant que très bon perchiste (3).
Avec une culture athlétique assez étendue, seriez vous intéressé pour entrainer un groupe haut-niveau pluridisciplinaire ?

Je serai vraisemblablement capable d’entrainer à un niveau national dans tous les sauts. Au-delà de cette famille athlétique, moins je pense.
Mais ma place est au saut à la perche.
Dans les autres disciplines je pense ne pas être suffisamment pointu et sur ce sujet il me semble que dans l’athlé il faut faire ce que l’on sait faire et laisser aux spécialistes le soin de gérer leurs spécialités.
Ceci dit j’aime partager avec les autres entraîneurs d’autres disciplines pour apprendre sur leurs méthodes et ainsi continuer à progresser.
Dans cet esprit je collabore ainsi beaucoup avec Olivier Vallayes pour le travail de course.

Une dernière question d’actualité. Vous deviez entrainer cette année la jeune perchiste suédoise Angelica Bengtsson, la championne du monde junior. Ou en êtes-vous dans ce projet ?

Angelica va venir intégrer le groupe d’entraînement à partir de fin novembre. C’est une jeune fille simple et dynamique mais je dois organiser un certain nombre de choses pour qu’elle puisse rapidement être à l’aise.
Elle est jeune et ne maîtrise pas très bien notre langue donc il faut lui faciliter le plus possible son quotidien.
Cela va de lui trouver un appartement jusqu’à gérer le transport des perches en prévision de la saison complète par exemple.
Je commence à être habitué à gérer ce type de problématique puisque tous les ans j’accueille dans le groupe de jeunes talents, et j’espère en tout cas pouvoir mener ce projet avec Angelica.

Merci beaucoup pour ces réponses
En vous souhaitant le meilleur pour la suite.

(1)   Fin septembre
(2)   Palmares de Renaud Lavillenie sur la période :
2010 Champion d’Europe à Barcelone
2011 Champion d’Europe en salle et record de France 6m03 à Bercy
        3eme aux mondiaux de Daegu
2012 Champion du monde en salle à Istanbul
         Champion d’Europe à Helsinki
         Champion Olympique à Londres
(3)5m42 en 2001