Haile Gebresselassie (2), au sommet de son art

Dans notre saga consacrée à Haile Gebresselassie, nous vous présentions dans « La naissance d’un champion » sa passion pour la course à pied et son ascension de son plus jeune âge à ses premiers titres et records du monde. Le grand public commence à connaître le petit Ethiopien mais l’année 1996 s’annonce d’une importance particulière pour Haile, tant sur le plan sportif que personnel. Ses premiers Jeux Olympiques approchent et il souhaite demander Alem en mariage. Vous découvrirez sans doute que les aventures olympiques de Haile Gebresselassie ont rencontré bien des péripéties… Parfois le titre olympique ne se joue qu’à un fil !

 

Une première épopée olympique mouvementée

Début 1996, en Allemagne, Haile Gebresselassie commence par battre les records du monde indoor du 5000m (13’10’’98) et du 3000m (7’30’’72) et annonce qu’il souhaite réaliser le doublé olympique 5000 – 10 000m comme son idole Mirtus Yifter.

En arrivant à Atlanta en 1996, Haile veut préparer quelque chose de spécial à Alem pour lui prouver tout son amour. Il se décide à demander à Alem : « si je gagne la médaille d’or olympique à Atlanta, veux-tu m’épouser ? Nous aurions notre fête de fiançailles dès mon retour à l’aéroport. Ce sera un grand jour de fêtes et célébrations ». Pour que cela devienne réalité, Alem doit d’abord dire oui, et ensuite Haile doit gagner la médaille d’or à Atlanta ! Bien entendu Alem dit oui instantanément.

Mais, chose peu connue du grand public, lors de la première nuit de Haile dans le village olympique, une simple ampoule sur le gros orteil gauche dégénère très rapidement. Le lendemain matin, l’humidité et la chaleur d’Atlanta, lui ont provoqué un gonflement sur tout le pied. Les médecins lui conseillent alors d’appliquer des pommades et de rester couché. Mais cela ne fonctionne pas. Les docteurs lui recommandent même de ne pas courir la demi-finale, tellement son pied est boursouflé.

Haile veut éviter à tout prix de montrer cette faiblesse à ses adversaires, qui sauraient en profiter. Lors des demi-finales, sur la piste extrêmement dure d’Atlanta, il met un point d’honneur à l’emporter en 28’14’’20. La douleur est à la limite du supportable, mais il se dit qu’il n’aura peut-être plus d’autre occasion de devenir champion olympique et Alem, à qui il n’a rien dit de sa blessure, attend également cette victoire. Plus que trois jours avant la finale, sans courir, juste à se reposer et à prier.

La finale voit de très nombreux changements de rythme, cela se voit clairement. D’un gros paquet, les coureurs passent en file indienne, puis se regroupent ensuite en peloton, avant de se retrouver de nouveau les uns derrières les autres. A 2km de l’arrivée, les 18 coureurs sont encore dans le coup. Tergat passe devant. Gebre ne tarde pas à se mettre dans sa foulée.

Le coup de bluff, personne ne sait que Haile a ses problèmes au pied, est en train de fonctionner. Si les Kenyans avaient su, ils auraient sans doute tenté de rendre le train beaucoup plus rapide. Dans le dernier tour, Haile produit son effort et prend 10, puis 20 mètres d’avance. Il se retourne près de dix fois dans la dernière ligne droite, c’est bon il est champion olympique ! En 27’07’’34, record olympique. Et peut passer la bague au doigt d’Alem à son retour en Ethiopie, dans une cérémonie grandiose !

Haile savoure mais repart vite sur les chemins de l’entraînement. En février 1997, Haile Gebresselassie défie Hicham El Guerrouj sur un 1500m en salle à Stuttgart. L’Ethiopien reste impuissant en 3’32’’39, face au Marocain, qui s’empare du record du monde en 3’31’’18.

Gebre entame ensuite une incroyable série d’invincibilité de quatre ans par un record du monde en salle du 5000m en 12’59’’04, avec un record mondial pulvérisé de plus de 11 secondes ! A Paris-Bercy, Haile gagne son premier titre mondial indoor, sur 3000m. Avant de récidiver l’été aux mondiaux d’Athènes, sur 10 000m devant Paul Tergat comme à Atlanta, en 27’24’’’58.

Haile Gebresselassie améliore début août 1997 le record du monde du 10 000m, en 26’31’’32 et celui du 5000m, en 12’41’’86. Cependant fin août à Bruxelles, dans une formidable soirée de demi-fond pour le Kenya, Haile Gebresselassie assiste depuis les tribunes à la destitution de ses records du monde du 5 000 – 10 000m, que lui subtilisent respectivement Daniel Komen et Paul Tergat.

« Cette nuit de rêve pour le Kenya, c’était leur détermination de me rattraper pour toutes les fois où je les avais battu, où lorsque je patientais derrière eux quand ils menaient l’allure. De retour à l’hôtel je préviens Jos Hermans (son agent) que je veux reprendre mes records, et que je serai prêt à Hengelo en début d’année pour reprendre déjà un des deux, celui du 10 000m ».

Le 10 000m est la plus longue distance courue entièrement sur piste. 25 tours. Elle demande endurance, vitesse et intelligence. L’endurance pour supporter un rythme élevé de plus de 22km/h ou 65 secondes chaque tour. La vitesse pour accélérer dans le dernier tour afin d’aller chercher une médaille. Et l’intelligence, en étant calme, tranquille et stratège pour évaluer les forces et faiblesses des adversaires. L’intelligence de placement également pour éviter les contacts dans le peloton et détecter les meilleures opportunités.

1998, meilleure année de Haile sur le plan chronométrique

Après deux records du monde en salle début 1998 (3000m en 7’26’’15, 2000m en 4’52’’86), Haile se lance au départ du meeting de Hengelo, avec qui il lie une véritable histoire d’amour. Assefa Mezgebu l’emmène sur 15 tours, et Haile s’envole vers un nouveau record du monde du 10 0000m, dans le fabuleux chrono de 26’22’’75. Puis 12 jours plus tard, à Helsinki, il reprend le record du monde du 5000m, en 12’39’’36. Cette fois les Kényans sont battus pour de bon ! Cette année 1998 sera la meilleure de Gebre sur le plan chronométrique. Il s’est astreint à un entraînement si difficile avec la motivation de reprendre ces records mondiaux du 5000 – 10 000m.

Il continue sa saison 1998 invaincu sur les 3000 et 5000m d’Oslo, Rome, Monaco, Bruxelles, Berlin et Moscou.

Haile Gebresselassie est un coureur extrêmement complet. Sa saison indoor 1999 en est la preuve. À Birmingham le 14 février 1999, il tente de reprendre le record mondial indoor que Daniel Komen avait amélioré de 8 secondes l’année précédente, en 12’51. Birmingham porte souvent chance à Haile, qui réussit 12’50’’38 pour, déjà, son 15ème record du monde.

Haile aime bien les saisons indoor et tente le pari d’un doublé 1500-3000m aux mondiaux en salle de Maebashi au Japon. Il commence par gagner le 3000m en 7’53’’57. Le jour suivant il gagne sa série du 1500m en 3’41’’22, puis 24 heures plus tard il gagne la finale en 3’33’’77, un excellent chrono pour un 1500m en salle !

En plein air, Haile continue sa série de victoire, même sur 1500m (3’33’’73 à Stuttgart) et sur mile (3’52’’39 à Gateshead). Aux mondiaux de Séville 1999, il fait très chaud et la piste est dure. Personne ne se risque à emmener le 10 000m sur un rythme élevé. A la cloche, cinq athlètes sont encore là. Sur le dernier tour Haile est presque imbattable. Il l’emporte avec un dernier tour en 55’’, encore devant Paul Tergat, pour la troisième fois en grand championnat. Mais Paul Tergat est bien décidé à ne pas être toujours battu par Haile en grand championnat…

Avant les JO de Sydney, son corps lui joue encore des tours

Comme en 1996 à Atlanta, le parcours olympique de Haile pour Sydney sera semé d’embûches, avec un talon d’Achille qui le fait terriblement souffrir dès la fin de l’année 1999. Alors que plusieurs médecins lui conseillent l’opération qui lui ferait manquer les JO, Haile choisit de tenter le coup, avec des massages et étirements spéciaux pour faire patienter son tendon d’Achille jusqu’à fin 2000, après les Jeux.

Le lendemain d’une victoire à Zurich sur 10 000m le 11 août 2000, il ne peut plus marcher. Si près des Jeux, il doit observer un repos complet. Il va jouer un véritable coup de bluff, encore, et se cacher des médias et des athlètes Kenyans et Marocains à Sydney pour que personne ne sache qu’il ne peut pas courir, pas même un footing. Même les médias éthiopiens sont priés de ne pas dévoiler la situation.

Lors d’un ultime test en Ethiopie, son talon d’Achille lui fait trop mal et il ne parvient pas à faire plus de 100m en pointes. Il décide de déclarer forfait mais se ravise à la dernière minute.

Il devra courir deux 10 000m en pointes en 4 jours à Sydney. Le vendredi 22 septembre, en série, alors que la douleur le tiraille, il met un point d’honneur à gagner sa série pour ne pas éveiller de soupçons de ses adversaires qui lui imposeraient sinon un rythme élevé dès le départ de la finale.

Le samedi et dimanche, Haile reste couché dans son lit, avec le pied surélevé. Le dimanche il sent que la douleur commence à diminuer, mais le temps presse. Le lundi soir, une nuit magique d’athlétisme se déroule devant 112 000 spectateurs et des millions de téléspectateurs. La locale Cathy Freeman remporte le 400m féminin et Michael Johnson remporte une énième victoire sur le 400m masculin.

« A l’échauffement, Paul Tergat me demande ‘Haile, comment vas-tu ?’ Seul deux mots me viennent à l’esprit ‘Très bien’. C’est à ce moment précis que je pense avoir une chance de l’emporter. Je peux commencer mon échauffement de manière positive ».

Le duel Gebre-Tergat, l’un des plus beaux duels du demi-fond

Tergat est un spécialiste du cross-country, gagnant le titre mondial de 1995 à 1999, du jamais vu à l’époque. Gebresselassie, lui au contraire, n’était pas un habitué des terrains de cross. A l’aube de la finale du 10 000m de Sydney 2000, Paul Tergat n’a encore jamais battu l’Ethiopien, finissant second à Atlanta ’96 et aux mondiaux 1997 et 1999. Tergat ne s’est jamais entraîné aussi dur que pour les JO de Sydney. « J’étais un peu fou » avouait le Kenyan. « Lors de beaucoup d’entraînements pour Sydney je terminais semi-conscient. J’étais si épuisé que je ne pouvais plus tenir debout ou manger. Je pouvais seulement boire un peu d’eau et attendre de retrouver mon énergie. Après quelques heures de repos, dès que je me sentais mieux, je repartais courir aussi dur. Mais je faisais ça car je savais que Haile s’entraînait encore plus dur. C’est à ça que je pensais quand je souffrais terriblement et pensais abandonner une séance, je pensais à Haile. Je savais que je devais me punir pour pouvoir battre Haile à Sydney. »

Cette finale des Jeux de Sydney 2000 est l’une des plus serrées et l’une des plus belles courses de fond de l’histoire. A mi-course, une dizaine de coureurs forme le peloton en 13’45. Haile ne pense plus à son tendon d’Achille. Mais à 2km du but, il souffre. Il souffre non pas de son tendon, mais d’un manque de souffle, suite à son peu d’entraînement juste avant les Jeux. A l’approche de l’arrivée il entend ses adversaires souffler comme lui, et décide d’attendre les derniers 100m pour attaquer.

Tergat surgit de la tête du peloton avec plus que 250m à courir. Seul Haile peut répondre et se décale couloir 2 dans la dernière ligne droite. A 50m du but, un rien ne les sépare, le suspense est total. Tergat se vengera-t-il pour toutes les fois ou Gebresselassie l’a devancé ? Leurs regards montrent leur détermination. Au final, Haile l’emporte sur le fil, avec seulement 0’’09 d’avance sur Paul Tergat !

Haile a encore beaucoup sollicité son corps lors de ces jeux olympiques de Sydney. Ses deux titres olympiques ont été décrochés contre des adversaires tenaces, mais surtout contre lui-même, contre un corps qui l’a fait tant souffrir à l’approche des JO. Haile termine la saison 2000 exténué, souffrant du talon d’Achille et finit par se faire opérer en fin d’année par un des meilleurs spécialistes. Il doit observer un repos total pour récupérer. Mais lorsque les membres de sa famille le voient de retour chez lui, qu’il porte une attèle et des béquilles, ils pensent que Haile ne sera plus capable de courir et que le médecin a raté l’opération.

Haile sait lui qu’il reviendra, mais doit convaincre sa famille qu’il peut recourir et il grille les étapes pour les rassurer. Aux risques de mettre vraiment sa carrière en danger ! Car Haile a encore plein de belles choses à accomplir… C’est ce que vous découvrirez dans Haile Gebresselassie (3), empereur de la piste au marathon.