Stephen Ndung’u : « Samuel Wanjiru était un véritable héros kenyan »

Stephen Ndung’u, le mentor de Samuel Wanjiru, est revenu sur l’histoire de son protégé dans deux interviews, très complémentaires, accordées à l’East Africa Standard et au New Yorker, nous permettant de connaître encore un peu mieux la vie et la personnalité que Samuel Wanjiru avait. Stephen Ndung’u a également répondu à nos questions.

Retrouvez l’histoire hors du commun de Samuel Wanjiru, celle d’un athlète exceptionnel et d’un homme au grand cœur dans « Samuel Wanjiru : retour sur l’histoire d’un champion parti bien trop tôt ».

Samuel Wanjiru, héros du peuple kényan

Interview entre Stephen Ndung’u et l’éditeur sportif Omulo Okoth pour le journal kenyan l’East Africa Standard.

Omulo Okoth : Quelles leçons est-ce que les athlètes internationaux ont pu tirer de la mort de Samuel Wanjiru ?

Stephen Ndung’u : Les athlètes actuels et ceux qui aspirent au haut-niveau doivent savoir que lorsque le monde admire leurs exploits, ils doivent faire le maximum pour garder les pieds sur terre pour éviter que leurs revenus, leur style de vie et tout ce qui va avec commence à grignoter l’essence même de leurs vies.

 

– Est-ce que Samuel Wanjiru était le plus grand coureur de fond que nous ayons connu ?

Je dirais qu’il était devenu un marathonien de tout premier plan en ayant remporté plusieurs titres et en ayant battu plusieurs records du monde comme ceux du semi-marathon à Rotterdam et à Den Haag. Il est devenu champion olympique du marathon à Pékin et a gagné deux marathons majeurs (ndlr : Londres en 2009 et Chicago en 2009 et 2010).

 

« Samuel Wanjiru aurait un jour quasiment couru sous les deux heures au marathon »

– S’il était toujours en vie aujourd’hui, quelle sorte d’athlète serait-il ? Aurait-il remporté les JO de Londres ?

Samuel nous a quitté à un très jeune âge, avec un potentiel pas encore totalement exploité. Il était un marathonien talentueux et prometteur. Avec son travail et sa détermination, je crois qu’il aurait couru encore mieux que lors de ses marathons précédents. Et oui je crois qu’il aurait conservé son titre olympique aux JO de Londres 2012 et qu’il aurait un jour quasiment couru sous les deux heures au marathon.

– Si vous deviez tenir quelqu’un responsable de la mort de Samuel Wanjiru, qui serait-ce ?

Les circonstances environnant son décès sont toujours floues. Je souhaite laisser ça aux investigations en cours.

 

– Comment nos sportifs en général peuvent-ils, et les athlètes en particulier, éviter de telles situations qui ont menées à la mort de Samuel Wanjiru ?

Nos athlètes doivent surmonter certains défauts tel que la confiance en soi, et ne devraient pas gérer tous seuls leurs finances et leurs relations. Pour surmonter ces problèmes, la communauté du sport devrait aborder les problèmes de la gestion du succès comme une part de l’entraînement. Elle devrait offrir à la fois un conseil financier et social, dans le but de leur permettre d’investir dans des placements productifs plutôt que de gaspiller l’argent et céder aux plaisirs de la vie.

Je crois que la fédération kényane d’athlétisme (Athletics Kenya) devrait monter des institutions où les athlètes recevraient une aide personnel pour les aider à surmonter le fait de passer du statut de personne anonyme à celui de célébrité du jour au lendemain. Ce nouveau statut est parfois envahissant et la plupart du temps il est difficile de faire face à cela. L’institution devrait aussi faire un suivi d’après carrière des athlètes et les soutenir avec des outils pour les responsabiliser sur leur futur. C’est le moment que les managers d’athlètes engagent une gestion des investissements pour leurs athlètes et les soutiennent longtemps, même quand leur jour de gloire est passé.

 

– Comment pouvez-vous résumer le caractère de Samuel Kamau Wanjiru en une phrase ?

Un athlète plein de potentiel, travailleur, ambitieux et déterminé, un véritable héros kényan !

 

« Le monde athlétique a perdu une personne exceptionnelle »

– Comment est-ce que la communauté kényane et le monde athlétique a réagi à sa mort ?

Ca a été un choc et nous étions dans un état d’incrédulité puisque nous nous sommes réveillés avec les infos télévisées nous bombardant de la nouvelle tragique. Ce n’était pas facile et cela ne le sera pas pour évacuer la réalité de cette nouvelle.

Le monde athlétique a également perdu une personne exceptionnelle, avec une grande sportivité, et un modèle magnifique et encourageant pour les athlètes à venir.

Samuel Wanjiru remporte le marathon de Londres 2009

– Quel héritage a laissé Samuel Kamau Wanjiru à l’athlétisme ?

Samuel a montré au monde qu’on ne nait pas héros, mais qu’on le devient. Il a laissé un héritage qui montre aux futurs athlètes qu’ils vont devoir travailler dur pour arriver à l’imiter. Sa domination sur le circuit de la course sur route est un exemple avec en point d’orgue son titre olympique sur marathon en 2008. Le premier de son genre.

« Samuel Wanjiru voulait aider les athlètes pauvres »

– Racontez-nous quelque chose que vous connaissez à propos de Wanjiru, que le monde ne connaissait pas.

Une chose que le monde ne connaissait pas à propos de Samuel Wanjiru est sa volonté d’aider les athlètes pauvres.

Après avoir fondé une organisation appelé Mt. Kenya Talent Development Centre (MKTDC), j’ai approché Samuel Wanjiru avec cette idée. Et sans aucune question, Samuel accepta immédiatement de devenir le porte drapeau de l’association et ambassadeur de bienveillance.

C’était environ 5 mois avant que Samuel meurt. Il avait énormément développé l’idée de ce projet à tel point qu’il m’aurait appelé et parlé à propos de cela pendant des heures. La dernière fois que j’ai eu l’occasion de parler de la fondation avec Samuel c’était le 16 avril 2011, juste un mois avant son triste décès.

Samuel avait évoqué l’idée et prévu dans le futur de porter le drapeau de MKTDC dans chaque course, petite comme majeure, à laquelle il participerait. Samuel était issu de mon programme, Mt Kenya High Altitude Training Camp (désormais MKTDC) de 1998 à 2002, avant qu’il aille au Japon avec une bourse d’étude.

Samuel avait entendu parler de moi par des enfants dans un championnat national d’école primaire. Il avait demandé à sa mère et à son oncle de l’emmener à mon camp dans lequel j’entraînais 23 autres jeunes hommes et femmes. Samuel était un des plus jeunes mais je n’avais aucun doute dans mon esprit, il était le plus fort en puissance et en endurance. Tous les autres enfants du camp ont également connu une belle réussite en athlétisme, ce qui m’a donné la force de travailler pendant pratiquement une année sur l’idée que nous avions développée.

La certification de la fondation est actuellement en cours, et je souhaiterais tendre les bras à toutes les bonnes volontés du Kenya et du monde entier pour nous aider à faire que les rêves de Samuel deviennent réalité.

Nous espérons que les actuels et anciens athlètes vont consacrer de leur temps pour faire de cette organisation une success story.

Mount Kenya High Altitude Centre : Samuel Kamau Wanjiru en gris et Stephen Ndungu à droite

– Avez-vous maintenu des relations avec la famille de Wanjiru depuis sa mort ?

Ma relation avec sa famille est devenu encore plus forte. Samuel était comme un frère pour moi. Pendant les 4 années d’entraînement qu’il a passé à Nyeri avant d’aller au Japon, il était logé dans la maison de mes parents. Il était traité comme un de mes frères et sœurs et mes parents lui ont donné la même chance qu’à nous.

Il a eu un grand respect pour ma famille. En décembre dernier, avec quelques autres athlètes que j’assiste et conseille à Nyeri, Samuel avait rendu une visite surprise à mes parents pour les remercier. Tous se sentaient redevables, en particulier envers ma mère et mon père qui les avaient traités comme leurs propres enfants et les avaient nourris. Le succès de Samuel est une histoire douce-amer pour moi et toute ma famille. Je le connaissais avant tout le monde.

 

Interview entre Stephen Ndung’u et Xan Rice du magazine américain The New Yorker.

 

Xan Rice : Comment avez-vous rencontré Samuel Wanjiru pour la première fois ?

Stephen Ndung’u : Samuel m’a été présenté par sa mère, Hannah Wanjiru, et son oncle John Mwihia qui me l’avaient amené à la maison de mes parents après que Samuel avait entendu parlé de moi à Kisumu où il avait participé aux championnat scolaire d’athlétisme du Kenya.

Il était très jeune, il avait 13 ans et avait toujours voulu devenir un athlète professionnel. Il voulait suivre les traces de grands champions comme John Ngugi, Douglas Wakiihuri, Paul Tergat et tant d’autres.

 

– Quelles étaient les origines de Samuel ?

Il venait d’un milieu très modeste mais ne croyait pas aux barrières dans la vie et en particulier en athlétisme. Il m’avait dit une fois qu’il atteindrait des sommets et qu’à coup sûr il courrait avec de grands champions comme Haile Gebreselassie.

« si les grands hommes peuvent le faire, je crois que je peux même encore faire mieux »

– Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur la période à laquelle il s’entraînait avec vous ?

Il était l’un des plus coopératifs, obéissants et respectueux. C’était un jeune homme plein d’énergie qui avait une grande détermination et qui croyait en sa progression. Il disait tout le temps que « si les grands hommes peuvent le faire, je crois que je peux même encore faire mieux ». Il l’a prouvé en battant plusieurs records.

 

– Quel genre de personne était-il ?

Il était quelqu’un avec une grande personnalité. Né dans la pauvreté, il croyait qu’il parviendrait à dépasser cet état passager et qu’il deviendrait un champion.

 

– Restiez-vous très proche de Samuel après son séjour à l’étranger ?

Oui, Samuel était resté en contact avec moi et avait prévu de soutenir mon projet, le Mt Kenya Talent Development Centre, où il s’était entrainé dans ce qu’on appelait le Mt Kenya High Altitude Training Camp. Il s’y était entrainé de 1998 à 2002.

 

– Etiez-vous au courant de ses problèmes dans sa vie personnelle ?

Non, je n’étais pas au courant de ses problèmes dans sa vie personnelle. Nous parlions d’athlétisme, du Mt Kenya Talent Development Centre et d’aller de l’avant. Nous ne discutions jamais de vie personnelle.

 

– Etiez-vous en contact avec Samuel cette année ?

La dernière fois que j’ai parlé avec Samuel, c’était quand il m’a appelé le 16 avril 2011, un jour avant le marathon de Londres (ndlr : Samuel avait du déclarer forfait pour une blessure au genou), sans savoir bien sûr que ça serait notre dernière discussion.

Nous avions eu une discussion très agréable et intéressante pour savoir qui pouvait gagner ce marathon, sur son futur et ses rêves. Nous avions aussi parlé du projet humanitaire du Mt Kenya Talent Development Centre qu’il avait accepté de soutenir en étant l’ambassadeur de bienveillance de cette ONG. Samuel voulait rendre à la communauté ce qu’elle lui avait apporté et mon souhait est de concrétiser son rêve grâce à l’aide de toute bonne volonté.

Ca a aussi été mon rêve d’aider d’autres enfants pauvres comme Samuel après avoir vu ce que la pauvreté leur empêchait de pouvoir faire. Samuel se sentait redevable d’aider cette communauté qui l’avait fait devenir ce qu’il était devenu. Le projet du MKTDC, en l’honneur de Samuel, est basé sur le terrain vague de Kinunga, dans le comté de Nyeri. C’était là que Samuel s’entraînait quand il était jeune avec 23 autres jeunes entre 1998 et 2002. Tous ces jeunes étaient issus d’un milieu pauvre et j’étais conscient combien d’énormes talents étaient gâchés dans le centre du Kenya à cause du manque d’équipement et de support technique pour les enfants pauvres. Catherine Ndereba (double championne du monde et deux fois vice-championne olympique du marathon) venait aussi de là.

 

Je voudrais mentionner que début avril, Samuel était venu, avec d’autres athlètes de Nyahururu avec qui il s’entraînait à Nyeri sous ma supervision et vivait avec ma famille, rendre une visite surprise à mes parents. Ils avaient passé un bon moment avec eux.

Mes parents et les membres de ma famille sont profondément affecté par sa mort. Quand Samuel vivait avec eux, ils l’ont traité comme leurs propres enfants. Il avait un lien très fort avec ma famille qui a duré jusqu’à bien après son départ au Japon. Il laisse un grand manque à notre famille.

 

– Comment le perceviez-vous ?

Samuel était très charismatique, jovial et très sociable. Il était aussi une grande personne avec une attitude positive et volontaire dans la vie. Il a supervisé et motivé plein d’enfants pauvres qui pour la plupart ont maintenant commencé à collaborer au projet du Mt Kenya Talent Development Centre.

 

– Comment avez-vous appris sa mort ?

C’était aux alentours de 4h du matin en Grande-Bretagne quand j’ai reçu un appel disant que Samuel Wanjiru avait trouvé la mort et j’ai ensuite commencé à recevoir des SMS provenant d’athlètes au Kenya. Depuis ce jour, je suis passé par tous genres d’émotions et parfois j’ai du mal à me concentrer sur mes activités de tous les jours. Or je dois accepter le fait que le jeune garçon que j’ai vu se façonner en un héros mondialement connu du marathon est parti. Il était une grande motivation dans l’organisation humanitaire que je tiens pour mon pays. Je n’accepte toujours pas l’idée de vouloir penser à ce drame.

– Quelle fut votre réaction ?

J’ai toujours perçu sa mort comme un songe. C’est un cauchemar absolu et les mots ne sont pas assez fort pour décrire ma réaction. J’étais dévasté et groggy avec le chagrin d’avoir perdu Samuel.

 

 

Stephen Ndung’u a également eu la gentillesse de répondre à nos questions.

« Une soif d’apprendre »

Culture Athle : Grâce à ses performances prometteuses en 2002, Samuel est allé au Japon pour s’entraîner et étudier le Japonais. Pourquoi lui avez-vous suggéré de tenter cette expérience ? Qu’a-t’il apprit de ces 3 années passées là-bas ?

Stephen Ndung’u : Ce n’était pas tant une suggestion de ma part qu’un de ses rêves d’apprendre un nouveau langage et d’apprendre à propos d’un monde différent de celui qu’il connaissait. Il voulait également avoir la chance de rencontrer et s’entraîner avec les entraîneurs de Douglas Wakiihuri, Daniel Njenga ou Eric Wainaina pour ne citer qu’eux. Il avait eu l’occasion de parler avec plusieurs athlètes qui avaient été au Japon et lui avaient expliqué comment ça se passait là-bas. Il en a déduit que c’était une belle opportunité de tenter cette expérience.

 

– En 2005 à Bruxelles, Samuel Wanjiru prenait part dans le fabuleux 10 000m remporté par Kenenisa Bekele avec un record du monde à la clé, en 26’17. Samuel avait finit troisième en pulvérisant le record du monde junior en 26’41’’74 et avait toutes les qualités pour devenir un grand coureur sur piste. Pourquoi s’est-il spécialisé dans la course sur route à seulement 19 ans alors que beaucoup de coureurs se mettent à la route à un âge plus avancé ?

Quand Samuel s’entraînait, il se demandait à l’inverse pourquoi les jeunes athlètes ne se spécialisaient pas dans la course sur route. Il voulait donc être un pionnier et lancer cette mode pour que les jeunes étoiles montantes de la course à pied puissent se consacrer à la course sur route malgré leur jeune âge.

Samuel était également un homme extrêmement jeune qui venait d’un milieu très pauvre, rempli d’adversité. Il semblait extrêmement facile de remporter un marathon et c’est en tout cas ce que pouvaient imaginer les athlètes montants. Beaucoup d’athlètes ont peur que s’ils s’aventurent tôt sur le marathon ils ne dureront pas longtemps mais Samuel leur a ouvert un chemin leur prouvant qu’ils avaient surement tords.

« aider le projet MKTDC qui lui était si cher »

Samuel était un athlète très particulier et je n’étais pas surpris qu’il rejoigne Mt Kenya Talent Development Centre en tant qu’ambassadeur de bienveillance à peine un an avant qu’il trouve la mort. C’était son rêve de voir encore bien davantage d’enfants pauvres et défavorisés d’avoir les opportunités qu’il avait eu. C’est pour ça, en l’honneur de Samuel, je vous encourage d’aider le projet MKTDC à obtenir des sponsors pour réaliser son rêve même s’il n’est plus de ce monde. Je crois que ça lui fera le plus grand plaisir depuis le paradis.

 

Un grand merci à Stephen Ndung’u pour nous avoir fait parvenir toutes ces informations sur Samuel Wanjiru et ces deux interviews. Allez visiter le site internet pour sa fondation Mt. Kenya Talent Development Centre (MKTDC) ou vous pouvez avoir plus d’informations et de photos sur la page Facebook du MKTDC.