En mai 2011, la grande famille de l’athlétisme était bouleversée après le décès brutal du Kenyan Samuel Kamau Wanjiru, des suites d’une chute violente à son domicile. Nous souhaitons lui rendre hommage en publiant son histoire hors du commun, celle d’un athlète exceptionnel et d’un homme au grand cœur. L’histoire d’un athlète aux origines modestes, devenu roi de l’Olympe.
Samuel Kamau Wanjiru restera à jamais comme le premier Kenyan champion olympique sur marathon. Comme l’avaient été avant lui les pionniers Neftali Temu sur 10 000m (en 1968), Kipchoge Keino sur 1500m (1968), Amos Biwott sur 3000m steeple (1968), John Ngugi sur 5000m (1988) et Paul Ereng sur 800m (1988).
Samuel Wanjiru voit le jour le 10 novembre 1986, à Olkalau District, dans le Nyandarau North District. Dès l’école primaire, on remarque ses qualités athlétiques lors de jeux au sein de son école à Githunguri alors qu’il a tout juste huit ans. Issus d’une famille très modeste, Samuel Kamau et son frère, Simon Njoroge, sont élevés seuls par leur mère Hannah qui ne peut subvenir totalement à leurs besoins. Elle n’a pas les moyens de leur acheter à la fois des chaussures, leurs livres scolaires et leur offrir un déjeuner correct. Samuel doit ainsi quitter l’école à l’âge de douze ans à cause des frais de scolarité trop élevés (l’école primaire redeviendra gratuite au Kenya en 2003).
Il commence alors à s’entraîner chez lui avant de rejoindre le club d’athlétisme MFAE sous les ordres de Francis Kamau, loin de sa ville natale, pour se concentrer pleinement à la course à pied. Le Mutual Fair Exhanges Athletics Club est situé à Nyahururu qui est la plus haute ville du Kenya. Cette région située entre 900 et 2400m d’altitude, également connue pour les chutes de Thompson, est très adaptée pour les coureurs de longues distances.
En 2000, Samuel Wanjiru termine troisième du 10 000 mètres des très attendus championnats scolaires du Kenya à Kisumu et plusieurs entraîneurs remarquent son potentiel. Cependant, ces derniers ne peuvent pas le prendre sous leurs ailes pour des raisons financières. Samuel fait face à un dilemme et ne sait où aller. Lors de ces championnats, il rencontre des athlètes qui s’entraînent au Mont Kenya High Altitude camp à Nyeri sous les ordres du mentor Stephen Ndung’u.
Sa rencontre avec Stephen Ndung’u
Peu de temps après son retour auprès de sa mère Hannah et de son frère Simon Njoroge, Samuel émet le souhait de rejoindre ce groupe d’entraînement. Dans le respect de la tradition Kikuyu, sa mère ne peut prendre la décision seule et demande l’avis de son frère John Mwihia (l’oncle de Samuel). Ils sont d’accord pour voyager jusqu’au camp de Nyeri (à 100km de chez eux) pour voir le mentor Stephen Ndung’u, vainqueur de plusieurs marathons aux Etats-Unis, et éventuellement lui en confier la garde.
Dans la tradition Kikuyu, on ne rend jamais visite à quelqu’un les mains vides. Sur le chemin les menant jusqu’à Nyeri, l’oncle de Samuel consent un effort en achetant 1kg de riz et de sucre. Après discussion avec Stephen Ndung’u, la mère et l’oncle de Samuel acceptent de lui confier le jeune Samuel, qui reste immédiatement dans le camp d’entraînement. Et Samuel ne tarde pas à faire parler de lui. Il s’entraîne très bien et gagne plusieurs courses locales sur route et en cross-country. Grâce à ses bonnes performances, Samuel Kamau devient un héros à Nyeri. Son mentor Stephen Ndung’u commence à chercher un sponsor lui permettant de poursuivre sa carrière à l’étranger.
Samuel Wanjiru s’envole pour le Japon
En 2002, Ndung’u parle au promoteur athlétique japonais Sunnichi Kobayashi, basé au Kenya. Samuel Wanjiru est prêt à tenter l’aventure et s’envole pour le Japon en mars 2002. Il rejoint la Sendai Ekuei Gakuen High School à Sendai où il étudie le Japonais et la culture japonaise pendant trois ans. Là-bas, les Ekidens, marathons à courir par équipe de six, sont une religion. En 2003 par exemple, il court le premier relais de son équipe d’Ekiden et termine les 10km en 28’04. Lors de ce séjour nippon, il réalise un de ses rêves d’apprendre au contact d’un monde différent de celui qu’il connaissait au Kenya.
En 2004, Samuel Wanjiru finit ses études et se fait employer chez Toyota à Kyusu. Il est alors entraîné par Koichi Morishita, vice champion olympique sur marathon en 1992. L’année 2005 va le révéler aux yeux du monde. Le 26 août, Samuel Wanjiru prend le départ d’un 10 000 mètres fantastique à Bruxelles ! Alors que Kenenisa Bekele remporte la course en établissant un nouveau record du monde (26’17’’53), un second record du monde est battu une poignée de secondes plus tard. Samuel Wanjiru améliore le record du monde junior… de plus de vingt secondes ! Samuel, troisième de la course derrière l’Ougandais Boniface Kiprop, établit à Bruxelles l’excellent chrono de 26’41’’75. Le précédent record junior, établit l’année précédente à Bruxelles également, était la propriété de ce même Boniface Kiprop.
Un succès précoce sur route
Deux semaines après, Samuel Wanjiru passe avec succès de la piste à la route. Le 11 septembre 2005, à seulement 18 ans, il bat le record du monde du semi-marathon à Rotterdam, en 59’16, à une allure de 28 minutes et 5 secondes par 10 kilomètres ! Ce record sera ensuite battu par Haile Gebreselassie le 15 janvier 2006 à Phoenix en 58’’55. Pendant ce temps, Samuel retourne s’entraîner au Kenya à Nyahururu et Ngong avec un groupe de jeunes athlètes en devenir.
Samuel Wanjiru continue sa progression et devient encore plus fort. Le 9 février 2007 aux Emirats Arabes Unis, il récupère son record du monde du semi-marathon en courant en 58’53 à Ras Khaimah. Un mois plus tard à La Haye aux Pays-Bas, le 17 mars, il améliore de nouveau ce record pour le porter à 58’35. Au passage du 20km, il en profite pour établir un nouveau record mondial en 55’31.
Fort de ces succès sur semi-marathon, l’athlète au petit gabarit (1m63 et de 52kg) se lance sur marathon. Il bouleverse alors les habitudes et devient l’un des athlètes les plus jeunes à se laisser tenter par l’expérience du marathon. Et dès ses débuts, il impressionne le monde du marathon ! A Fukuoka, le 2 décembre 2007, il expédie son premier marathon en 2h06’39 et bat le record de l’épreuve d’Haile Gebreselassie. Pour son second marathon, en 2008 à Londres, Samuel Wanjiru court une minute plus vite et termine second derrière son compatriote Martin Lel, en 2h05’24.
Cinq mois plus tard, les deux Kenyans se retrouvent au départ du marathon olympique dans les rues de Pékin et tout les deux font figures de favoris. Au trente-sixième kilomètre, Samuel Wanjiru place une accélération et ne sera plus rejoint. Samuel Wanjiru entre au panthéon de l’athlétisme kenyan en devenant le premier Kenyan champion olympique du marathon alors qu’il n’a encore que vingt-et-un ans ! Décidemment homme de records, il améliore par la même occasion le vieux record olympique du Portugais Carlos Alberto Lopes (2h09’21 à Los Angeles) en courant les 42km195 en 2h06’32. Que de chemin parcouru pour monter jusqu’au sommet de l’Olympe !
L’année post-olympique sera faste pour Samuel Wanjiru. Le 26 avril, le Kenyan remporte le marathon de Londres en 2h05’10 et améliore le record de la course détenu par son compatriote Martin Lel. Le 11 octobre, Samuel Wanjiru remporte le marathon de Chicago en améliorant d’une seconde le record de la course en 2h05’41. Il devient le plus jeune coureur à remporter trois marathons majeurs, en l’occurrence le marathon olympique, Londres et Chicago.
En avril 2010, Samuel Wanjiru est au départ du marathon de Londres pour défendre son titre. A mi-course il doit néanmoins abandonner à cause d’une douleur au genou. Quelques mois plus tard, le 10 octobre 2010, il remporte à nouveau le marathon de Chicago, en 2h06’24. A la fin de l’année, Samuel Wanjiru se retrouve malheureusement dans la rubrique des faits divers après son arrestation par la police, suite à la plainte de sa femme qui l’accuse de l’avoir menacé avec une arme.
Puis le 15 mai 2011, Samuel Kamau Wanjiru trouve la mort chez lui dans des circonstances assez floues, d’une chute de son balcon. Est-ce un meurtre ou un suicide, les hypothèses divergent. Sa disparition tragique a ému le monde de l’athlétisme et le Kenya tout entier. La fin d’un parcours rempli d’espoirs, alors qu’il n’avait pas encore vingt-cinq ans.
Des hommages unanimes
Le premier ministre kenyan, Raila Odinga, soulignait que « la mort de Samuel Wanjiru n’est pas seulement une perte pour sa famille et ses amis mais une perte pour le Kenya dans son ensemble et pour le monde de l’athlétisme tout entier. »
L’Ethiopien Kenenisa Bekele réagissait lui en ces termes : « je suis si désolé pour sa famille et ses amis, ils perdent un grand athlète et une personne merveilleuse. C’était un immense champion. J’espérais le rencontrer dans le futur sur marathon et courir contre lui. »
Le Kenyan laisse derrière lui l’image d’un athlète à la précocité impressionnante. La plupart des spécialistes s’accordent à dire que Samuel Wanjiru aurait été l’un des prochains recordmen du monde du marathon. Cette quête du record mondial était d’ailleurs une de ses priorités, avec la conservation de son titre olympique en 2012, avant que le destin n’en décide autrement. Sa disparition tragique laisse d’autant plus un goût amer que la gestion de la carrière des marathoniens, et notamment l’aspect financier, n’est pas encore très bien gérée.
Samuel Wanjiru avait à cœur d’aider les jeunes défavorisés au Kenya et n’oubliait pas ses origines modestes et le chemin qu’il avait dû parcourir pour arriver jusqu’au titre olympique. Grâce à ses gains sur marathon, il avait par exemple fait don de 25 000 dollars pour venir en aide au foyer de jeunes où travaillait sa mère à Nyahururu. Samuel Kamau avait dans l’idée d’aider encore plus d’enfants à développer leurs talents et à les encourager à ne pas perdre espoir.
Samuel Kamau Wanjiru était devenu un des ambassadeurs de la fondation Mont Kenya Talent Development Centre, un an avant sa mort. Son rêve était de voir beaucoup de jeunes défavorisés vivre une expérience comme lui avait pu avoir. Son mentor, Stephen Ndung’u continue de faire vivre et développer cette fondation qui a pour maxime « au Kenya, un champion nait chaque jour ». Stephen avait un rapport privilégié avec Samuel et nous parle de ce « véritable héros Kényan » ici.
A travers ses exploits athlétiques et cette fondation, Samuel Kamau Wanjiru ne sera jamais oublié ! Un immense champion qui laisse un énorme vide à ses proches et à la grande famille de l’athlétisme.