Romain, un des rédacteurs de Culture Athle, s’est entraîné 3 semaines à Iten au Kenya pour découvrir et s’imprégner de la culture kenyane pour la course à pied, en compagnie de 3 de ses partenaires d’entraînements habituels : Fabien (x2) et Robin. A travers un extrait de son carnet de bord, embarquez pour Iten et sa terre de champions.
03/01/2016 : « UNTIL THE TOP »
Départ pour un footing de 2h00. C’est une première pour moi, qui plus est, au milieu d’un stage déjà bien dense… On commence lentement, à 11 km/h, à l’aise. Le temps passe vite, nous discutons. Vers 1h, Jojo tourne à gauche. Avec Fabien nous continuons, en route pour les deux heures.
A un moment donné, au milieu de maisons perdues dans la campagne, nous croisons trois jeunes enfants, au milieu d’une côte. Le plus jeune, un garçon de 6-7 ans, en sandales, a une foulée fréquente et veut nous montrer qu’il court vite. Deux jeunes filles de 7-8 ans, pieds nus, m’accompagnent, une à gauche, une à droite. Au bout de 300m leur souffle s’accélère et je leur dis « until the top » en guise d’encouragement, en pointant la fin de la côte 200m plus haut. Elles s’accrochent et je leur lance un « Congratulations! ».
Mais elles ne s’arrêtent pas, de même que le garçon. Ca devient plus plat et leur souffle se ralentit. Ils semblent partis pour un moment. Jamais des gamins ne nous avaient suivis aussi longtemps, d’habitude les enfants ne tenaient que quelques dizaines de mètres… Nous sourions tous les cinq. J’aimerais que ce moment dure des heures. Je vois que le garçon veut accélérer. Je l’accompagne à 13 km/h sur 200m et nous nous tapons dans les mains pour les féliciter et les saluer. Ils ont bien tenu entre un et un kilomètre et demi et doivent désormais rentrer chez eux.
Il doit alors nous rester 30 minutes à parcourir. Les jambes commencent à être lourdes. Mes quadriceps se contractent, comme si mon corps venait grignoter le peu d’énergie qu’il me reste dans les muscles de la cuisse. 1h45, nous devons aller au bout, au mental. Allez nous y sommes presque, nous finissons à 2h00. 23 kilomètres. Semaine 2 achevée avec 155 kilomètres au compteur.
05/01/2016 : KIPROP
Les mardis et jeudis matins à Iten sont généralement les jours de séances sur piste pour les athlètes kenyans. Nous nous dirigeons donc vers le stade Kamariny. Des dizaines d’athlètes semblent déjà revenir, une chaussure à pointes dans chaque main… Sommes-nous arrivés trop tard à 10h ? D’autres, au contraire, vont commencer leur séance.
Nous arrivons à la piste, scrutant chaque athlète, à la recherche d’une tête connue… Soudain, parmi un groupe d’une dizaine d’athlètes, un grand coureur, très élancé, se distingue. Il porte un T-shirt Nike bleu avec une inscription « FAST » en jaune. Il s’agit d’Asbel Kiprop, troisième meilleur performeur de l’histoire sur 1500m, grâce à ses 3’26 au meeting Herculis de Monaco l’été dernier. J’avais pu assister depuis les tribunes à cette course fantastique, une des plus rapides de tous les temps, où Kiprop inquiétait sérieusement le record du monde. Dans l’attitude, Kiprop semblait pousser, à la recherche de vitesse, tout le long de la course, sans jamais frémir. J’assiste aujourd’hui à un de ses entraînements, l’envers du décor.
Un décor d’ailleurs splendide sur cette piste en terre rouge, entourée des grands arbres, qui dégage une atmosphère si particulière. La séance : 4x2000m, ou plutôt 4x2027m si l’on se réfère aux 409m que sont la distance du tour de piste du Kamariny stadium.
Autant la récupération d’un tour de récupération en marche très lente n’est pas impressionnante. Autant la régularité du rythme est remarquable : 1’10 à chaque tour, pour finir en 5’50. Kiprop est aux avant-postes sur chaque répétition et mène les derniers blocs, alors que certains abandonnent, tiraillés par des maux de ventre. Séance foncière achevée pour ce qui semble être une séance « tampon » pour Asbel Kiprop, très à l’aise tout du long.
Quelques gamins regardent les champions, dont trois qui se rapprochent de mon appareil photo pour voir les clichés. En fait je crois que nous aussi nous sommes des gosses, émerveillés par ce spectacle haut en couleurs, où dans un peloton on remarque des T-shirts unis orange, bleu, jaune, rouge, blanc, violet,…
L’après-midi, c’est à notre tour d’entrer en tour de piste. Pour 10km de séance. « C’est en faisant ce qu’on a jamais fait qu’on obtient les résultats qu’on a jamais obtenu ! » nous écrit Paul (ndlr : l’entraîneur de Romain) dans une enveloppe, de même que « ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait… », même si cela reste « faisable, loin des 100x400m de Zatopek ». Au programme : 2x(1200-3×600-5x400m).
Premier 1200m, avec Robin qui fait 1000m en pointes. Notre séance est trop longue nous ferons tout en basket… Passage au 1027m en 3’00. Ca va déjà très vite : 3’38 (équivalent 3’33), plus vite de pratiquement 10 » que prévu. Nous temporisons sur les 600m, avant de faire les 400m avec Jojo. Fin du premier bloc. Nous sommes déjà épuisés !
Jojo nous prend les 400 premiers mètres du 1200m. Mais au bout de 30 mètres, des moutons (oui des moutons !) traversent la piste. Nous manquons de tomber, mais un saute-mouton permet de les éviter et nous devons relancer ! Lorsque Jojo s’écarte je suis cuit, le souffle court mais il faut y aller, c’est le moment clé de la séance. Je passe en 1’50 au 600m, un peu moins vite que le premier mais je sens un second souffle arriver. Mes jambes tournent toutes seules, je reprends contrôle de ma respiration. Allez, plus que 400m, puis passage au 1027m en 3’03. Je relance et termine en 3’39. Ouf, aussi vite que le premier 1200m !
Le plus dur est fait. « On fait les 3x600m et on regarde ce qu’il nous reste après ! » dis-je à Fabien. Puis sur les 409m on se mêle aux 409m d’un grand coureur blanc, bronzé, qui les enchaîne en 69 »… J’en prends un sur deux, et fais 1’08 de moyenne sur les 5, dont le dernier en 1’07, sans finir lactique malgré les 1h02 que m’annonce la montre.
On discute avec ce grand coureur blanc à la fin de la séance. C’est un marathonien hollandais qui possède un record en… 2h10 ! C’était en 2012 et il rêve de se qualifier pour les JO de Rio, même si les minima hollandais sont élevés, à 2h11. Il habite Iten, s’est marié avec une Kenyane et a deux enfants en bas âge. Koen Raymaekers tentera les minimas lors du marathon de Rotterdam ce printemps. Il y a pire comme athlète avec qui finir cette belle séance. J’ai définitivement franchi un cap. Vivement les compétitions à la redescente !
Merci Romain pour ce beau récit ! Vous aussi vous voulez vivre cette expérience kenyane ? Romain donnera quelques conseils pratiques dans cet article.