Tokyo 64′ – Billy Mills : Les ailes d’un aigle

Lors des Jeux Olympiques de Tokyo en 1964, un parfait inconnu remporte le 10 000m au terme d’une dernière ligne droite d’anthologie. Cette médaille d’or est l’une des plus grandes surprises dans l’histoire olympique et un exploit unique dans le sport américain.

Cette victoire était une surprise pour tout le monde sauf pour Billy Mills lui-même, qui pendant 4 ans a écrit « Médaille d’or, 10 000m » dans son carnet d’entraînement. La nuit avant la course, il y ajouta : « Dieu m’a donné cette capacité, à moi de m’en servir. Crois-y, crois-y, crois-y. »

« Cette victoire ce jour-là était un cadeau, dit Mills, et depuis, j’ai essayé de le donner en retour. A ma façon, j’essaye de promouvoir les vertus et les valeurs que j’ai apprise de cette aventure. C’est l’aventure, et non la destination qui nous façonne. Ce sont les décisions que nous prenons tous les jours, et non seulement le talent que nous possédons, qui dessine notre destinée. »

Billy Mills est né dans la réserve indienne Pine Ridge dans le Dakota du Sud en 1938. Sa mère meurt quand il a 9 ans. Il voit dans les Jeux Olympiques un moyen de retrouver sa mère. En lisant un livre sur les Jeux, il reste stupéfait par un passage : « Les Olympiens sont choisis par les dieux. » Le jeune Billy pense alors : « si je fais les Jeux Olympiques, si je suis choisi par les dieux, alors peut-être je pourrais voir ma mère à nouveau. »

Trois ans plus tard, le jeune Billy est à nouveau anéanti. Son père meurt. Véritable guide spirituel pour lui, son esprit ne le quitte pas pour autant.

A la fin des années 50 et au début des années 60, Billy Mills devient l’un des meilleurs coureurs universitaires des Etas-Unis. A l’Université du Kansas, il termine 3 fois dans les 6 premiers des championnats universitaires (NCAA) de cross-country et aide son équipe à remporter la victoire aux championnats NCAA sur piste en 1959 et 1960.

Malgré ses succès athlétiques, Mills se sent souvent comme un étranger. Il est l’un des seuls indiens d’Amérique à l’université et chez lui, il est l’un des seuls à sortir de la réserve indienne et de ses traditions. Le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis n’en est qu’à ses débuts, et au moins une fois, un photographe l’exclut de la photo du palmarès des All-Americans.

Bien qu’il ait eu « un incroyable soutien à l’Université de Kansas », Billy ne se sentait pas à sa place. Un jour, il monte au sixième étage et est prêt à se défenestrer. Soudainement, il ressent une énergie : « Ne fais pas ça. » Il est convaincu que cette énergie venait de son père.

Billy attrape un stylo et écrit ses rêves : « Medaille d’or, 10 000m » et ajoute plus tard : « Me qualifier dans 3 épreuves : le 5 000m, le 10 000m et le marathon. »

Après avoir été diplômé en 1962, il se marie et rejoint l’U.S. Marines en Californie. Son entraînement pour Tokyo commence.

Aux Trials américains, Mills termine second du 10 000m et obtient sa qualification pour Tokyo. Il se qualifie également sur le marathon mais échoue sur le 5 000m.

Le matin du 10 000m des Jeux de Tokyo, Mills confie à son coéquipier Ron Larrieu sa stratégie de course : « Je prévoie de partir avec les leaders, de rester avec eux et d’essayer de les dépasser dans le dernier tour. »

Avec une finale directe à 38 coureurs, il n’avait cependant pas prévu qu’il faudrait doubler les retardataires.

Dès le départ, Mills reste proche de la tête de course avec les favoris, l’Australien Ron Clarke recordman du monde et le Soviétique Pyotr Bolotnikov champion Olympique. Le rythme est rapide, et au passage à mi-course, Mills réalise qu’il était en train de battre au passage son propre record personnel du 5000m. Et il lui reste encore 5000m à courir.

Mills a du mal à tenir l’allure, il dit dans sa tête : « Je suis préparé pour courir vite. Je ne suis juste jamais allé aussi vite en course. Ne panique pas. Accroche-toi. »

A un moment, à la sortie d’un virage, Mills est prêt à être décrocher. Mais il sait que sa femme, Pat, est assise 32 rangs au-dessus de la piste dans ce même virage. Il ne pouvait pas lâcher en fâce d’elle. Il continue à s’accrocher. Quelques tours plus tard, il est encore avec les leaders. A la télévision, les commentateurs n’en reviennent pas : « Billy Mills est toujours là. Personne ne l’attendait à ce niveau-là. »

A deux tours de l’arrivée, il ne reste plus que Clarke, le Tunisien Gammoudi, l’Ethiopien Mamo Wolde et Mills. Clarke regarde derrière lui. Mills prend ça comme un aveu de faiblesse. En réalité, Clarke ne reconnait pas le coureur sur ses talons.

La cloche retentit. Mills arrive au niveau de Clarke. Pendant des mois, Mills a visualisé cette même situation : être à côté du leader, dans la même foulée.

Les deux hommes se rapprochent d’un coureur attardé, Clarke est enfermé. Au lieu de ralentir, l’Australien pousse violemment l’Américain pour passer entre les deux. Mills est déporté au couloir 3. Derrière eux, Gammoudi pense un instant que Mills est hors course. Mais Mills arrive à revenir aux côtés de l’Australien. Gammoudi force à son tour la porte pour passer entre les deux coureurs.

D’un coup, Gammoudi prend 5 mètres d’avance, Clarke le suit. Mills est distancé. Les coureurs entrent dans la dernière ligne droite et doivent éviter un groupe de coureurs attardés. Mills déboule au couloir 3, il lui reste 80m et a toujours quelques mètres de retard. A ce moment-là, il jette un coup d’œil à un coureur attardé et crois voir un aigle sur l’insigne du maillot de ce coureur à l’extérieur.

« C’était si puissant pour moi » dit Mills. « Pas de mots dans mon esprit mais une énergie parcourant tout mon corps. Les mots de mon père : les ailes d’un aigle, réussi-ça, et un jour tu auras les ailes d’un aigle. »

En regardant son sprint ravageur, on a d’ailleurs l’impression qu’il a des ailes à la place des pieds. Il se dit à cet instant que jamais plus il ne sera aussi proche d’emporter l’or olympique, et qu’il doit le faire maintenant.

Mills accroche le fil d’arrivée le premier mais n’en revient pas. Il ne peut croire qu’il a gagné. Il demanda à un officiel si il s’est trompé dans le décompte des tours. Non, lui assura l’officiel. Mills leva son doigt et demanda « Premier ? »

Oui, acquiesça l’officiel puis ajoute « champion Olympique ».

Mills retourna voir le coureur attardé avec l’aigle sur son maillot. Il le trouva – probablement un des Allemands Siegfried Herrmann ou Arthur Hannemann. Pas de traces d’aigle dans le dos du coureur.

Mills établit un nouveau record Olympique en 28’24’’4, explosant son meilleur temps personnel de 50 secondes !

Billy Mills est devenu une légende Outre-Atlantique, en tant que second indien d’Amérique champion olympique après Jim Thorpe, mais aussi comme seul et unique champion olympique Américain sur 10 000m dans l’histoire olympique.

Mills a dédié sa vie au partage, en aidant par exemple sa communauté indienne en créant un programme basé sur la course à pied : Running Strong for American Indian Youth. Il a visité une centaine de pays pour promouvoir « l’unité à travers la beauté et la dignité de la diversité. » En 2012, il reçoit la médaille présidentielle des citoyens, seconde plus haute distinction américaine pour les civils, des mains de Barack Obama.

En 2020, Mills aura 82 ans et prévoit de retourner à Tokyo pour les prochains Jeux Olympiques : « je prévois de continuer et terminer mon aventure en 2020, pour emmener ma famille à Tokyo pour leur montrer où cette sacré aventure a commencé pour ma femme et moi. »

L’histoire unique de Billy Mills a été adaptée au cinéma au 1983 avec Running Brave, que vous pouvez regarder en ligne ici.

Enfin, retrouvez ci-dessous une très belle vidéo sur son mental d’acier :