Athletisme et danse… mais encore…

La danse et l’athlétisme , explication et découverte d’une approche dans l’entraînement avec Frédéric Beuzard entraineur à l’US Ivry (1)

 

Bonjour Frédéric et tout d’abord merci pour cette intervention. On parle de danse dans l’athlétisme avec l’exemple actuel de Jimmy Vicaut. Peux tu nous expliquer en quoi cet apport est pertinent ?

Oui bien sûr. Ce n’est déjà pas un secret de dire que le complément apporté à Jimmy Vicaut vise à lui permettre plus de relâchement dans ses contractions musculaires . Mais c’est plus largement aussi le moyen de lui permettre d’accéder à la maitrise de sa haute intensité de production de mouvement.

C’est-à-dire plus précisément ? Par de simples exercices ou attitudes spécifiques à la danse  ?

Oui en travaillant sur le relâchement, la posture, essentiellement. On favorise ainsi la protection du muscle lors des mises en tension-renvoie (le réflexe myotatique). A travers des exercices décomposés notamment (mime de geste athlétique, courses, sauts, lancer, haies), qu’on va réaliser en marchant, puis en déroulant, puis en trottinant, puis en courant, puis en lâchant les chevaux. Et le tout bien sûr en maintenant le relâchement, permettant à l’athlète de ressentir et de vivre sa discipline.

C’est un condensé dans ma formulation mais c’est bien sûr une construction lente qui permet ainsi au cerveau de se créer son réseau de performances gestuelles et athlétiques.

D’accord. Pour autant même si ce lien athlétisme/danse te semble naturel, il est assez singulier et pas si évident que cela en première approche. Qu’en est il plus précisément de ton appréciation personnelle de ceci ?

Pour tout te dire j’ai débuté ma carrière professionnelle dans le monde chorégraphique. Tout d’abord 3 années dans un théâtre puis 5 ans avec une Compagnie de danse. Durant ces années, mon regard et mon oeil se sont aiguisés. L’affinement de ma conception de l’athlétisme commença son chemin dans ma relation à l’entraînement et à la pratique compétitive. Par le biais de cette « déformation professionnelle », j’ai eu ainsi souvent tendance à comparer le travail d’un chorégraphe et celui d’un entraîneur. Notamment à travers la relation geste/mouvement créant une cohérence des flux, et permettant une lecture fluide de cet art éphémère… tout comme une performance réalisée en compétition, dont il ne reste plus que des sensations, des brides de souvenirs pour l’athlète et des impressions à l’entraîneur. Le chorégraphe écrit et compose ainsi une oeuvre à travers ses danseurs, tandis que l’entraîneur maximise les aptitudes de ses athlètes afin qu’ils puissent s’exprimer et se réaliser. Chorégraphes et entraîneurs utilisent le corps à travers une gestuelle constituant un flux de mouvement adapté à chacun afin d’exprimer leurs visions sur un sujet ou sur une discipline. Ce regard porté par et sur la danse m’a habitué à déceler un geste, à voir un rythme et à lire un mouvement

Très bien. Tu nous proposes donc carrément une autre lecture du geste athlétique. Mais toutes les disciplines athlétiques peuvent elles être concernées par cette approche ?

Oui car il s’agit d’associer des gestes et de les mettre en mouvement, et en ce sens cela peut s’appliquer à toutes les disciplines de l’athlé et même à d’autres sports, si tant est que l’univers chorégraphique nous intéresse.

Dans mon cas j’ai facilement fait le rapprochement avec la longueur, car je l’ai longtemps pratiqué en temps qu’athlète et aujourd’hui je l’entraine en tant que coach. J’ai donc pu mettre en oeuvre un langage entre les différents gestes afin de les associer autour du saut en longueur, (et quand je parle de langage je parle aussi de technique bien sûr). Mais ma réflexion sur la porosité de la danse et de l’athlé est valable partout. S’il y a du geste du mouvement, du déplacement alors on est dedans. Ce n’est d’ailleurs pas une exclusivité athlétique car par exemple l’équipe de France de Beach Volley, travaille avec une violoniste du conservatoire, qui lui permet ainsi de réaliser des mimes afin de mieux se coordonner et sentir les déplacements du partenaire, comme lors d’une répétition pour un duo chorégraphique.

C’est-à-dire ?

Et bien lors des répétitions les danseurs travaillent sur leurs enchaînements, imposés ou improvisés, et ce sous l’oeil attentif du chorégraphe. Ainsi suivant les intentions que celui ci souhaite développer avec ses danseurs il est à même de voir si le tout est cohérent et d’y apporter les corrections nécessaires, en travaillant notamment sur des rythmes plus lents ou plus rapides suivant les besoins.

Oui mais en même temps c’est peut être moins flagrant pour les courses et lancers que pour les sauts non ?

Pas du tout là où il y a geste il y a une forme de chorégraphie. L’outil c’est le corps c’est tout.

Mais peut être est ce aussi une forme de représentation schématique de la chorégraphie « classique » relativement faite de sauts qui donne cette limite car en fait toutes les danses sont viables pour imager le geste athlétique, que ce soit du classique au contemporain, en passant par le Hip-hop, ou les danses traditionnelles. Il faut avant tout intégrer qu’une pièce chorégraphique est en mouvement et en rythme grâce à l’expression corporelle car à partir de là on voit plus aisément que ces éléments sont bien présents dans tous les sports, et sans conteste dans l’athlétisme.

Tu donnes de la valeur à cette prolongation que tu fais entre la danse et l’athlé et donc pour rester dans ta spécialité, la longueur. Ca te cause, ca te structure, mais quel conseil donnerais tu à un entraineur d’athlé qui voudrait s’y ouvrir lui aussi ? Des ouvrages références sur la danse peut être aussi ?

Ce que je pourrais conseiller à un entraineur c’est d’aller voir des pièces et assister à des répétitions si possible. Dans un premier temps il faut y aller et lâcher prise, juste observer ne pas se dire j’y vais pour chercher quelques choses de précis, mais plutôt s’y laisser porter.

Sinon je ne conseillerais pas au néophyte d’ouvrages particuliers, juste citer en référence deux d’entre eux qui ont guidé ma réflexion

-Paysages esthétiques de la danse – Édition Arcadi

-Danser sa vie- édition centre Pompidou

Enfin peut être plus simplement je conseillerais à tous d’aller voir simplement des œuvres chorégraphiques.

Et pour son introduction dans l’entrainement, quels pourraient être les premiers exercices simples utilisant la danse , et applicables bien sûr sur un groupe de plusieurs athlètes  ?

Incontestablement des exercices qui vont apporter du relâchement et favoriser l’étirement musculaire. C’est un moyen d’éviter la crispation et de favoriser l’effet de mise en tension-renvoie.

Pour un groupe et une transmission entraineur/entrainé efficiente je conseille de travailler sur un geste puis d’aller vers le mouvement. On est dans la logique du plus lent au plus vite. Et ce tout en gardant une vue d’ensemble sur la discipline.

De mon côté sur ma spécialité du saut en longueur je travaille toujours sur l’ensemble du saut, de la première foulée à la sortie du sable. Et je pars du ramené puis je construis un ensemble cohérent et fluide dans une vision globale. Cette manière de travailler me permet d’intervenir sur tous les points clefs du saut et permet aux athlètes de comprendre ce qu’ils font. Ainsi on développe un vocabulaire commun, entre ce que j’ai dans la tête et ce que les athlètes ressentent. Je les fais devenir acteurs de leur pratique. Mais je devrais plutôt dire danseurs en fait …

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Mais que peuvent ils ressentir de plus ainsi ?

Sur un plan de développement de qualité athlétique j’ai le sentiment qu’en terme de vitesse gestuelle et de changement de rythme, les athlètes les ressentent plus. C’est aussi intéressant au point de vue de la maîtrise technique.

Une autre question triviale encore. Avec ton approche établis tu plus de connexion avec les athlètes filles que garçons ?

Je ne suis pas certain que ça parle vraiment plus aux filles qu’aux garçons. Je pense que le temps ou le sport était pour les mecs et la danse pour les filles est un peu révolu. Les danseurs sont  des athlètes, et pour s’en apercevoir tout simplement il faut encore aller assister aux spectacles chorégraphiques je pense

En revanche ça parle clairement aux gens impliqués ou ayant un intérêt pour la danse quelle qu’elle soit. J’en ai la preuve tous les jours sur le terrain. Mais c’est peut-être aussi parce que je suis habité par cette transversalité, même si je ne l’impose jamais, libre aux athlètes d’y adhérer ou non … et filles ou garçons bien sûr !

Très bien et pour l’entraineur que tu es quels sont les bénéfices de cette approche et l’intérêt plus général que tu y portes dans tes méthodes ? En développant un peu …

Je parlerais déjà de correspondance, … la correspondance entre les deux univers et qui s’établit dans le mouvement et la fluidité. Le chorégraphe écrit une pièce chorégraphique, on parle d’ailleurs dans ce milieu d’écriture chorégraphique, c’est une liaison de gestes qui entraînent une succession de mouvements, de ressentis … sur scène c’est instinctif, presque animal, mais cela demande des heures et des heures de répétition, de précision.

Si on y regarde de plus près on s’aperçoit alors que c’est similaire à ce que nous faisons chaque jour sur le terrain en athle. On prend l’exemple de la longueur il y a plusieurs gestes dans la course d’élan, dans l’appel, dans la suspension et dans la réception, et on doit lier l’ensemble pour qu’il y ait une cohérence. Pour être plus clair toutes les phases sont ainsi liées les unes aux autres. De fait quand on observe une erreur technique, il ne faut pas simplement s’arrêter sur l’erreur en elle même, mais plutôt savoir ce qu’il s’est passé en amont car l’erreur est souvent une conséquence de ce qu’il se passe avant…

Mais il faut également observer ce qu’il se passe après. Je le dis tout est lié car nous sommes dans une cohérence de mouvements, et la danse est un excellent moyen de sensibiliser son regard aux mouvements.

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Et qu’en est-il des résultats de tes athlètes avec cette approche ?

Depuis 2010 j’ai eu 11 athlètes qualifiés aux championnats de France (Longueur, Triple saut, 60m, 100 m, hauteur, Épreuves Combinées, Javelot et relais) dont 3 qualifiés aux élites en 2011 et 2013 et cette année. C’est aussi 13 participations en finales de ces différents championnats et 4 médailles au final. Cette année tous ont battus leurs records.

Apres comme je te l’ai dit je n’impose pas cette vision, c’est quelque chose qui est propre à mon fonctionnement d’entraineur et me donne des repaires d’observations.

C’est surtout le travail et l’implication personnelle que les athlètes peuvent mettre à l’oeuvre tous les jours à l’entrainement qui comptent et dans ma démarche j’ai ainsi beaucoup de chance d’avoir ces athlètes investis ainsi qu’un binôme entraîneur avec lequel nous échangeons aussi énormément

 

       (1) Frédéric Beuzard a débuté l’athlétisme en 1995, pour un arrêt de sa pratique compétitive en 2009, et se consacrer depuis à l’entraînement à l’US Ivry dans le Val de Marne. Pendant ces 14 années d’athlète, il a pratiqué sprint, sauts et lancers, pour au fil du temps s’orienter vers les sauts, et plus particulièrement le saut en longueur et le triple saut.

En 2010 il intègre l’ETR de la Lifa (Ligue d’Ile de France d’Athlétisme) et est depuis 2013 agent administratif du Comité Départemental d’Athlétisme du Val de Marne.