Damien Inocencio: « J’ai beaucoup appris dans la gestion des spécificités chinoises »

Bonjour Damien, on a vu deux chinois en finale masculine à Londres cette année. Quel bilan personnel dresses-tu de cette compétition?

Bonjour Ivan, c’est un bon bilan niveau chiffre. Première fois pour la chine qu’il y avait 3 hommes et 3 femmes de qualifiés pour un championnat du monde (seuls les USA et la Chine l’ont fait cette année). Nous avons deux hommes en finale dont un qui fait 4eme et qui a pu goûter au plaisir de se battre pour une médaille. Je suis donc satisfait de ce bilan.

Mon gros regret cependant est que la fédération n’a pu envoyer que ces deux garçons à Londres, car en septembre se tiendront les jeux chinois pour lesquels les provinces n’ont pas voulu libérer les autres sauteurs pour Londres.

C’est a dire que les provinces privilégient ces jeux nationaux à la participation de leurs meilleurs athlètes aux championnats du monde?

Oui, les jeux chinois sont une compétition interne à la chine qui se passe tous les quatre ans. C’est la plus importante compétition pour les chinois et tout particulièrement pour les provinces. Les provinces étant les employeurs des athlètes, elles peuvent ainsi décider de ne pas laisser les athlètes participer à des compétitions de l’équipe nationale. Au final, nous avons raté une occasion d’aguerrir de nouveaux perchistes.

Très bien, et plus généralement quels ont été les autres points forts de cette saison pour toi ?

Cette année, j’ai pu travailler sur un groupe qui va pouvoir se construire sur la durée. En effet, juste après Rio, j’ai demandé a la fédération de ne plus avoir Changrui à temps plein dans le groupe. Il avait beaucoup trop de difficultés à vivre loin de sa famille, et nous avons mis en place une autre organisation pour lui permettre de mieux s’équilibrer (cela a marché vu qu’il finit 4eme a Londres avec un nouveau record de Chine à 5m82).

De cette réorganisation, j’ai ainsi pu construire le groupe autour de HUANG Bokai, qui est un très bon leader et montre la voie aux jeunes. Malheureusement il s’est fait une fracture de fatigue au pied et n’a pas pu montrer tout son potentiel, mais je pense que le travail de cette année va mettre une ou deux saisons à réellement porter ses fruits.

Ta collaboration avec les Chinois se prolonge donc la saison prochaine ? Auras tu des objectifs précis sans mondiaux estivaux l’année prochaine ?

Oui, elle se prolonge, j’ai signé un nouveau contrat pour la prochaine olympiade, donc en théorie je serai « chinois » encore pour trois ans. Pour l’année prochaine nous n’aurons « que » les jeux d’Asie, donc cela sera une année parfaite pour continuer à renforcer le groupe avec des jeunes et préparer ainsi au mieux les deux années suivantes qui nous amèneront directement sur Tokyo 2020.

Tu travailles maintenant depuis quatre saisons avec les meilleurs perchistes chinois . As tu évolué dans ton approche et organisation d’entraînement sur cette période ?

Depuis janvier 2014, j’ai beaucoup appris dans la gestion des spécificités chinoises. C’est une autre culture, une autre approche de l’entraînement et des relations humaines. J’ai mis deux ans pour vraiment comprendre leurs méthodes et leurs points faibles et j’ai effectivement pu adapter mon entraînement en fonction de ceux-ci.

Par exemple ?

Par exemple tous les athlètes chinois ont eu par le passé ou ont maintenant des problèmes de pied. Ce constat fait, j’ai dû beaucoup remanier mes exercices et mes plans d’entraînement en fonction de cette fragilité. De même, du fait qu’ils n’avaient pas de fessier et de contrôle de leur bassin, j’ai dû modifier la quasi-totalité des exercices que je proposais en musculation et orienter cela sur des exercices de puissance et de développement de l’activation des muscles autour du bassin.

J’ai aussi commencé une collaboration avec Yann Remondin sur la préparation physique et les prévention des blessures, il fait un travail fantastique et cela me permet aussi de prendre du recul et de lâcher aussi le groupe à une personne de confiance. Yann étant un ancien étudiant de Clermont Ferrand qui dès la fin de ses études a travaillé avec de nombreux perchistes et sprinters de Clermont, il baigne ainsi dans la culture perche et comprend totalement mes attentes en matière de préparation physique.

Tu évoques Clermont Ferrand. Entraînes tu ou conseilles-tu encore d’autres perchistes français ou étrangers?

J’ai beaucoup de contacts à travers le monde, beaucoup d’athlètes et de coachs me contactent pour un avis ou pour plus. J’ai eu tout l’hiver dernier un couple de portugais et les deux meilleurs espagnoles du moment qui sont venus s’intégrer au groupe. Mais en revanche je n’ai plus de français même si j’espère pouvoir encore aider des jeunes à Clermont.

En ta qualité d’entraîneur qu’observes-tu de notable dans la perche mondiale en général actuellement?

Au niveau mondial, chez les hommes je vois éclore une nouvelle génération qui devrait faire monter le niveau d’ici peu. Mondo Duplantis en est le parfait représentant. Il va leur falloir deux saisons mais cela devrait redonner un gros coup de fouet à la perche mondiale. Chez les filles la saison n’a pas été très intéressante, il manque une ou deux filles qui enflamment les concours.

Hormis Renaud, peu de concurrents internationaux ont semblé s’inscrire a plus haut niveau dans la durée ces dernières années? Reverra t’on Braz selon toi ? Kendricks est il le nouveau boss des prochaines années ? Qui vois-tu arriver rapidement à plus haut niveau dans la jeune génération?

Nous reverrons Braz, il faut lui laisser le temps de gérer la médaille, il vit sur deux continents, cela n’aide pas à gérer le sportif quand on est devenu un héros. De plus il y a eu beaucoup de problèmes dans son environnement proche, ce qui a du le chambouler. Il est doué et très jeune, il faut lui laisser le temps.

Kendricks est un sacré bonhomme, il est complètement atypique dans son mode de vie et dans son saut. c’est un mec adorable et super fair-play, je pense qu’il sait comment faire évoluer son saut et il progresse régulièrement tous les ans, aussi il n’y a pas de raisons pour que cela s’arrête pour lui.

Enfin dans les gars qui vont éclore il y a en tout premier Mondo (Duplantis) qui est plein de talents, il a sauté 5m90 cette saison à 17 ans et devrait continuer sa progression et faire beaucoup de mal les prochaines années.

Et côté français, même question . Axel Chapelle , Kevin Menaldo ou d’autres peuvent-ils prendre le relais de Renaud a terme a haut niveau mondial selon toi ?

Personne ne peut prendre le relais de Renaud. Et surtout personne ne doit chercher à le faire. Renaud a un palmarès monstrueux et il faut que les autres français arrivent à se créer leur propre histoire. Mais très probablement, la génération post-Renaud aura beaucoup de mal à exister, comme cela fut le cas après Jean Galfione. Pour le moment les médias et donc le public ne veulent que du Renaud… les lendemains de fêtes risquent d’être difficiles. Les gars ont du talent, mais ils risquent d’avoir du mal à exister et à être reconnus à leur juste valeur.

Côté féminin , c’est un peu en retrait depuis quelques saisons ? Tu vois des explications à cela ? Simple question de génération selon toi ou un vrai sujet féminin ?

L’explication chez les filles vient en mon sens de la retraite de nombreuses patronnes  qui ont dominé la discipline pendant quinze ans. Les petites jeunes doivent maintenant trouver leurs places et s’aguerrir. De plus la maturité chez les filles en saut à la perche arrive tard, les filles ont besoin d’une période pour se poser et finir leurs études. Donc les filles prometteuses que l’on a pu détecter il y a quatre ans vont arriver a maturité pour la prochaine olympiade.

Enfin, bien qu’en partie expatrié te réjouis tu de voir les JO très probablement se tenir a Paris en 2024 ?

C’est très bien pour les sports olympiques et pour l’esprit national, c’est une très belle fête et le projet à l’air viable à long terme. J’espère que cela aidera la France à se professionnaliser, et à changer profondément. D’un point de vue sportif il faut très rapidement donner les moyens au terrain pour former la génération de sportifs qui pourra rendre la fête encore plus belle.

Mais pour le moment je regarde cela de très loin, mon métier fait que je ne sais pas pour qui je travaillerai dans quatre ans.