Le javelot allemand toujours sous les feux de la rampe

Le javelot est probablement l’une des disciplines les plus spéctaculaires de l’athlétisme. Pour vous en persuader, allez voir une compétition internationale avec un concours à plus de 80 mètres, spectacle garanti ! Ou jetez un coup d’oeil à cette galerie d’art – Javelin Art – réalisée lors des Jeux de Londres 2012. Le créateur de ces infographies est Eric Geirnaert, l’un des grands spécialistes de la discipline. Il nous décrypte la technique du javelot.

Dire que le javelot allemand est efficace, c’est,… c’est  un euphémisme. D’un point de vue technique, les intentions souhaitées sont toujours fortes, la vitesse est une volonté réelle qui, évidemment, est « rentabilisée » (exploitée) par des appuis solides. Dès l’éducation gestuelle, (on parle ici des lancers allemands) les orientations sont choisies puis imposées aux enfants. L’idée est de privilégier des « schémas balistiques » efficaces. Le sport de haute compétition (le panel des concours importants) impose à l’athlète de sortir une performance de pointe en trois essais. Il faut pouvoir se qualifier en trois lancers. Aussi (dans le schéma allemand) il faut une technique rentable, fiable et reproductible à souhait.

Dans certains modèles (le modèle finlandais par exemple) où le plonger vers l’avant (très profitable au chemin de lancer) permet d’espérer des records, la technique est surtout une arme à double tranchant car un timing déréglé et c’est ici toute la mécanique qui s’enraille (plus ou moins longtemps). Là où le modèle allemand est assez fiable, (certains diront « simple », simpliste) le schéma finlandais -même plus efficace- est assez hasardeux.

Evidemment ce n’est pas un lanceur qui fait la discipline, et, le raté technique d’un individu peut évidemment être occulté par les réussites d’un confrère. Mais, dans les faits, les aléas de performances peuvent être plus ou moins marqués selon l’école pratiquée. Pour dire la chose autrement, la technique allemande c’est : une grosse perf pour toujours être placé. La technique finlandaise c’est : le gros record pour marquer les bilans.

En discussion avec Werner Daniels, le spécialiste du javelot allemand nous résume parfaitement la chose: « Dear Eric, Christina is very fast but she Must be under control. Her left Leg and the Speed of the right side is her weapon. The Rest is Enjoy Javelin… »

Alors, toujours placée, jamais gagnante? Non, cette fois Christina Obergföll remporte le titre mondial à Moscou sur un lancer où le blocage jambe gauche est l’illustration parfaite du modèle générique allemand. Aborder le lancer de javelot sans cette introspection technique est impossible… Prenons une image simple pour expliquer les choses.

Posez donc votre main droite à plat sur une table. La main maintenue en contact, levez l’index le plus haut (sans décoller la paume du support) dans l’idée de claquer votre doigt le plus fort possible vers le plan de la table… L’exercice n’est pas facile. Le muscle qui conduit le mouvement du doigt ne génère pas d’énergie « outre mesure ». Après avoir éprouvé le mouvement volontaire (de la chaine musculaire), essayons une autre méthode.

Avec la main gauche, soulevez maintenant votre index droit pour l’amener en tension à la verticale, puis lâchez-le. Surprise ! La mise en « rendement articulaire » emmagasine de l’énergie qui peut être exploitée par le doigt qui, maintenant, peut claquer TRES fort sur la table.

La technique du lancer de javelot est basée sur ce concept de « rentabilité » articulaire. Preuve est faite, une petite structure anatomique (comme ici l’index) peut restituer un potentiel mécanique utile énorme. La jambe gauche pour un lanceur droitier joue dans cet effet mécanique. Attention, n’allez surtout pas résumer le javelot à cet exemple très simplifié !

Le lancer de javelot est plus que cela. Mais, bon, ce sport est surtout basé sur une phase d’accélération ultra-rapide. D’ailleurs 99% de l’accélération du javelot est amenée en quelques millisecondes par des structures dont l’essentiel n’est pas la masse ou le volume, (la force lourde et lente), mais bien par la réponse biomécanique. Le javelot peut donc être pratiqué par des morphotypes très différents. Et, dès lors,  l’essentiel est alors de bien choisir son école. Choisir entre l’école allemande et finlandaise ?

Aux mondiaux de Moscou les deux performeurs qui détonnent sont El Sayed (Egypte) 83m NR et Julius Yego (Kenya) 85m NR -qui, échanges entretenus avec Petteri Piironen- s’inspirent évidemment des secrets finlandais en s’entrainant à Kuortane !

 

Et la souplesse dans toute cette histoire ? Je vais vous surprendre (volontairement) mais, d’un point de vue technique la souplesse serait (est) assez néfaste pour le lancer de javelot. Il n’y a pas de « compromis » à trouver entre souplesse et raideur pour restituer l’énergie !

Le premier à avoir soutenu ce point à mes oreilles attentives (et je simplifie beaucoup) est notre camarade Pascal Lefebvre (neuf fois champion de France de 1987 à 1995). La souplesse est une chose, l’amplitude gestuelle en est une autre. Et, l’élasticité fonctionnelle est une autre notion.

Rapporté au doigt, on ne peut pas rigoureusement parler de « souplesse » de l’index. Le rendu biomécanique donné par le doigt en tension est optimum lorsque le cartilage, les os et les ligaments restituent une « élasticité » fonctionnelle. Pour claquer l’index fort sur la table, il ne faut pas améliorer la souplesse (par le muscle et les tendons), il faut solidifier les os et renforcer les ligaments (qui eux sont rigides, non extensibles). Il n’y a aucun compromis à trouver. La musculature du doigt ne changera que peu de choses. Par contre, il faut améliorer un rendement articulaire (qui n’est amélioré par la souplesse trop souvent évoquée).

Seul le muscle (qui physiologiquement peut s’étirer beaucoup avant de rompre) apporte son empreinte vraiment élastique dans un mouvement. Pour le javelot, il y a restitution d’énergies articulaires.

Voir, et expliquer le lancer de javelot comme un mouvement souple volontaire, guidé par une décision est un trompe l’œil. Le javelot est guidé par une réaction biomécanique. La prise d’énergie du javelot (un engin léger) est essentiellement rendu par les ligaments (qui eux sont rigides, non extensibles).

Sans donner de noms pour éviter les polémiques, des lanceurs très connus ont essayé d’assouplir les chaînes musculaires de l’épaule (en pratiquant des incisions chirurgicales) puis en essayant des fibres de carbone insérées dans le muscle pour renforcer les tendons. Et ces nouveaux muscles carbonés de jouer leurs rôle de « seconds » ligaments.

Notion physiologique assez mécanique et logique, les ossifications naturelles qui apparaissent après des déchirures peuvent renforcer les attaches et être ainsi profitables aux techniques du javelot.

Les chirurgiens vont hurler et les étudiants (futurs professeurs) de sport vont eux aussi être effrayés par ces propos. Mais, c’est un fait, une articulation qui propulse un engin à 130Km/h en quelque millisecondes doit avoir des propriétés biomécaniques formidables (autres que celle de la souplesse pure). L’hyper laxité (la souplesse) est problématique pour le javelot.

 

Eric Geirnaert. – http://infographies.pagesperso-orange.fr/Javelot_France.html
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