Steve Cram, premier homme sous les 3’30

Sur les traces de ses glorieux compatriotes Sebastian Coe et Steve Ovett, le britannique Steve Cram a illuminé le monde de l’athlétisme lors de l’été 1985. En l’espace de 19 jours exactement, il améliore trois records du monde et devient même un pionnier. Le premier à briser une barrière mythique du demi-fond, comme son illustre ainé Roger Bannister sur le mile, trente-et-un ans plus tôt. A Nice, Steve Cram devient le premier homme sous les 3’30 au 1500 mètres, dans une course remporté in-extremis devant Saïd Aouïta.

Egalement premier champion du monde de l’histoire sur 1500 mètres en 1983, Steve Cram continue de faire vibrer le public britannique en commentant désormais les épreuves d’athlétisme pour la BBC. Retour sur sa carrière.

Steve Cram à la foulée majestueuse, ici aux JO de Los Angeles
 

Un potentiel hors-norme !

« The Jarrow Arrow » (« La Flèche de Jarrow », ville d’où il est originaire) comme on le surnomme se distingue déjà très jeune. A 14 ans, Steve Cram termine quatrième des championnats scolaires anglais sur 1500 mètres, deux ans après avoir commencé l’athlétisme sous les ordres de Jimmy Hedley. Ses chronos sont alors prometteurs mais pas encore exceptionnels. Steve Cram effectue sa première grande performance en améliorant le record britannique cadet en bouclant son 1 500 mètres en 3’47’’7. L’année suivante, il ajoute un nouveau record à son palmarès, le record britannique des moins de 18 ans en améliorant le record de Steve Ovett de plus de deux secondes (3’42’’7). Steve Cram s’empare également de la meilleure performance mondiale des moins de 18 ans du mile (3’57’’42) ! Ces performances lui permettent même d’intégrer l’équipe britannique sénior pour les Jeux du Commonwealth, où il sera éliminé en série.

En 1979, Steve Cram remporte les championnats d’Europe Junior sur 3 000 mètres et jure qu’il fera tout son possible pour participer aux Jeux Olympiques de Moscou. La tache s’annonce néanmoins compliquée avec Sebastian Coe et Steve Ovett déjà pré-sélectionnés. Dave Moorcroft optant pour le 5000 mètres, le troisième billet qualificatif allait logiquement se jouer entre les deux espoirs britanniques Steve Cram et Graham Williamson, champion d’Europe Junior du 1500 mètres en 1979 également. Tout ne se passe pas comme prévu pour « The Jarrow Arrow» au meeting de sélection, puisque Williamson le devance. Mais quatre jours plus tard, Steve Cram réalise un détonant 3’37’’3. Le sélectionneur britannique décide alors de tenir un ultime face-à-face entre Cram et Williamson pour décider quel athlète sera du voyage dans la capitale russe. Le Dream Mile du meeting d’Oslo mettra fin au suspense ! Steve Cram réalise 3’53’’8 contre 3’56’’4 pour Graham Williamson, dans une course remportée par Steve Ovett dans un chorno de 3’48’’8, synonyme de record du monde !

A 19 ans, Steve Cram obtient donc le droit de courir aux Jeux Olympiques de Moscou. Il arrive à enchainer les tours et entre en finale du 1 500 mètres avec ses deux ainés Steve Ovett et Sebastian Coe, qui avaient réalisé le doublé sur le 800 mètres six jours plus tôt. Steve Cram repart de Moscou avec une huitième place et aura surement beaucoup appris lors de ces championnats. Pour clôturer cette saison très prometteuse, il améliore son propre record du monde des moins de 20 ans du 1 500 mètres en courant en 3’34’’74 à Zurich.

Le trio britannique de rêve : Steve Ovett (388), Steve Cram (362) et Sebastian Coe (359), ici aux JO de Los Angeles

En 1981, Steve Cram reste dans l’ombre de Steve Ovett et Sebastian Coe mais continue sa progression en passant sous les 3’50 au mile (3’49’’95) pour la première fois de sa carrière. C’était à Zurich, dans une course remportée par… Sebastian Coe en 3’48’’53, là encore synonyme de record du monde. L’écart avec ses ainés se ressert !

Steve Cram travaille sa vitesse sur 800m

L’année suivante, Steve Cram se concentre sur le 800 mètres où il améliore son record personnel de près de deux secondes, en l’abaissant de 1’46’’29 à 1’44’’45. Le britannique a toujours eu une pointe de vitesse impressionnante dans le dernier tour mais ces 1’44 semblent définitivement le convaincre qu’il peut battre n’importe qui sur 1 500 mètres. Steve Cram remporte deux titres sur 1500 mètres cette année là, aux championnats d’Europe et aux Jeux du Commonwealth, ce qui est très encourageant pour les championnats du monde d’Helsinki !

Mais Steve Cram n’est pas sûr de participer aux premiers championnats du monde de l’Histoire. En début de saison, « The Jarrow Harrow » est contrarié par une tendinite à l’aine et se tord la cheville en marchant sur une canette vide. Une course contre-la-montre se joue ! Il revient de justesse en juillet et se rassure en remportant plusieurs 1 500 mètres. Deux semaines avant les mondiaux, il bat même Sebastian Coe pour la première fois de sa carrière, sur 800 mètres en 1’45’’03. Arrivera-t-il néanmoins à tenir les trois tours de ces championnats ?

Steve Cram passe les séries puis les demi-finales du 1500 mètres sans encombre. Il arrive en finale avec Steve Ovett, Sebastian Coe ayant du déclarer forfait avant les mondiaux suite à une grave maladie. Les deux Steve se doivent d’exprimer la suprématie britannique sur le demi-fond ! La course part très doucement et s’emballe à deux tours de l’arrivée sous l’impulsion de Jan Kubista. Le peloton passe en 2’07’’76 au 800 mètres. Steve Cram est à l’affut ! Le marocain Saïd Aouita lance une franche accélération peu avant la cloche et Cram s’accroche à sa foulée ! Le britannique se décale à 200 mètres de l’arrivée et ne sera pas rejoint. Steve Cram devient le premier champion du monde du 1 500 mètres. Son dernier 800 mètres est avalé en 1’49’’ et son dernier 400m en 52’’ !

L’année suivante, l’or olympique lui tend les bras mais une blessure au genou le gêne au tout début de sa préparation. Steve Cram enchaîne des courses en demi-teinte mais se rassure en juin avec un 1000 mètres couru en 2’15’98. Il remporte dans la foulée les championnats britanniques sur 800 mètres mais ressent une douleur au mollet en fin de course. Steve Cram n’est pas au mieux de sa forme alors que Sebastian Coe revient d’une saison blanche. Mais les sujets de sa majesté arriveront toutefois à réaliser un magnifique doublé à Los Angeles ! Sebastian Coe se paye le luxe de conserver son titre en 3’32’’53 contre 3’33’’40 pour Cram, qui se déclare satisfait : « Je n’aurais pas pu donner plus. Seb a été brillant aujourd’hui. Ca allait si vite. Je n’avais pas les jambes à la fin. C’était une course d’hommes forts et Seb a été le meilleur. »

A jamais, le premier homme sous le 3’30 !

En 1985, Steve Cram écrit l’une des plus belles pages de l’histoire du demi-fond ! Sa saison commence fort en signant la troisième meilleure performance mondiale de l’histoire sur 1 500 mètres en 3’31’’34, le 27 juin à Oslo. Le début d’une saison où le britannique améliorera trois records du monde en 19 jours ! Et le premier est sans doute le plus beau, celui du 1 500 mètres…

En arrivant au meeting du Nikaïa à Nice, Steve Cram a bien une idée derrière la tête : « J’avais prévu que si je passais à la cloche en 2’37 ou moins, je serais sur la bonne voix pour le record. » Il faudra alors finir en 53’’ pour détrôner les 3’30’’77 de Steve Ovett.

Et la course se déroule même mieux que prévu ! « Lorsque je passe à la cloche, mon ami Dave Roberts me crie 2’36 et cela fut pour moi comme un détonateur. J’accélère à ce moment là, peut-être un peu trop fort, et je pense que j’ai course gagné. » Car attention, Steve Cram n’est pas le seul athlète de classe mondiale à courir à Nice ! « En arrivant dans la dernière ligne droite, j’entends le public crier et je pense que les clameurs m’étaient destinées. Je ne savais pas que la foule criait car Saïd Aouita revenait ! J’étais prêt à franchir la ligne lorsque soudain je sens qu’Aouita était juste à côté de moi et j’étais incapable de faire quoique ce soit si ce n’est que de casser sur la ligne. Je savais que j’avais gagné, mais c’était si serré ! » Et le chrono est extraordinaire, presque inimaginable ! 3’29’’67 ! Steve Cram pulvérise le record du monde de plus d’une seconde et devient le premier homme sous les 3’30 ! Saïd Aouita échoue à quatre centièmes du britannique. Quelle course d’exception !

Le suspense aura duré jusqu'au bout à Nice, première course sous les 3'30

Onze jours plus tard, Steve Cram remet le couvert à Bruxelles avec cette fois-ci le record du monde du mile en tête. Mais la tâche ne s’annonce pas si évidente avec Sebastian Coe en course et l’on imagine que ce dernier ne souhaite pas laisser échapper son bien si facilement (3’47’’33) ! Steve Cram semble très facile et au fur et à mesure des quatre tours, le britannique monte en puissance ! Sebastian Coe ne semble pouvoir le contrer et Steve Cram finit à une vitesse fulgurante : 25’’39 dans le dernier 200m. Il améliore ainsi le record du monde du mile en 3’46’’32 (passage au 1500m en 3’32’’29 et les derniers 109,32m réalisés en 14’’03) !

Steve Cram se laisse séduire par les tentatives aux records du monde, il tente ensuite celui du 2 000 mètres à Budapest. Et cette fois-ci, il s’en faut d’un rien pour que « The Jarrow Arrow » améliore le record ! Pour un centième exactement. 4’51’’39 contre 4’51’’4 pour le néo-zélandais John Walker en 1976. Après être passé en 3’55’’4 au mile, il boucle son dernier tour en 57’’47. C’est donc son troisième record du monde en 19 jours ! Steve Cram est dans la forme de sa vie et ne compte pas s’arrêter là !

Cinq jours plus tard, il décide de passer à une distance inférieure, celle du 1 000 mètres. Et si les conditions météorologiques avaient été meilleures, il aurait sans doute battu son quatrième record planétaire en 24 jours ! A Gateshead, dans la banlieue londonienne, il réalise un très bon 2’12’’85 malgré le froid et un temps nuageux. Cela reste insuffisant pour améliorer les 2’12’’18 de Sebastian Coe.

Pour clôturer sa saison en beauté, Steve Cram se paye le luxe de battre le champion olympique du 800 mètres, Joaquim Cruz, à Zurich en remportant la course en 1’42’’88. Pas mal pour quelqu’un qui ne se considère pas comme un coureur de 800 !

En route pour Séoul

La saison suivante, Steve Cram, continue de remplir son palmarès avec les Jeux du Commonwealth et les championnats d’Europe. Il rejoint l’Australien Herb Elliott et le Néo-Zélandais Peter Snell au panthéon des athlètes qui ont remporté le 800 et le 1 500 mètres dans une même édition des Jeux du Commonwealth. Aux championnats d’Europe de Stuttgart, il entre dans la dernière ligne droite du 800 mètres au coude à coude avec ses deux compatriotes Sebastian Coe et Tom McKean ! Mais Sebastian Coe sera le plus fort et l’emporte en 1’44’’50 contre 1’44’’61 pour McKean et 1’44’’88 pour Cram. « La Flèche d’Harrow » se consolera en remportant le 1 500 mètres en 3’41’’09 devant… Sebastian Coe (3’41’’67). Ces deux là sont décidément inséparables !

En 1987, Steve Cram doit défendre son titre mondial obtenu à Helsinki (les championnats du monde avait lieu tous les quatre ans jusqu’en 1991). En début d’année, il enregistre sa première défaite sur 1 500 mètres depuis les Jeux Olympiques de Los Angeles, face à l’Espagnol Jose Luis Gonzales. Il prend sa revanche sur l’espagnol au meeting de Zurich peu avant les mondiaux et semble être en mesure de l’emporter en l’absence du recordman du monde Saïd Aouita, le marocain préférant se concentrer sur le 5 000 mètres. En finale des mondiaux, Steve Cram passe a côté de sa course et ne termine que huitième en 3’41’’19, loin derrière le Somalien Abdi Bile.

Steve Cram ne réussira pas à conserver son titre aux mondiaux de Rome

L’année suivante, il arrive aux Jeux Olympiques de Séoul avec la ferme intention de remporter le seul titre qu’il manque à son palmarès. Bien qu’il soit détenteur de la meilleure performance mondiale de l’année (3’30’’95), il n’est pas au mieux de sa forme après avoir abandonné sur un 1000 mètres, un mois avant les JO, à cause d’une douleur au mollet. Sur le 800 mètres, Steve Cram est sorti en quart de finale. Mais la place semble libre sur le 1 500 mètres puisque Sebastian Coe n’a pas été sélectionné et ne pourra pas défendre son double titre olympique, auquel il faut rajouter la blessure d’Abdi Bile et l’élimination de Saïd Aouita en demi-finale !

La finale part assez doucement, en 2’00’’31 au 800 mètres et le rythme s’emballe à la cloche. Steve Cram est idéalement placé en quatrième position. Le Kenyan Peter Rono, le Britannique Peter Elliott, l’Est-Allemand Hans-Peter Herold et Steve Cram rentrent en tête dans l’ultime ligne droite, ils sont quatre à pouvoir l’emporter ! C’est extrêmement serré ! Les positions resteront identiques sur la ligne, Steve Cram finit au pied du podium (3’36’’24) à seulement 28 centièmes du titre et à 3 centièmes du podium. Steve Cram ne sera jamais champion olympique.

« The Jarrow Arrow » raccroche les pointes en 1994 après s’être orienté vers des distances plus longues. Il a notamment remporté les championnats britanniques sur 5 000 mètres en 1989 et couru un dix kilomètres en 28’46 en 1992, distance sur laquelle il avait réalisé 28’23 dix ans plus tôt.

Steve Cram a marqué l’histoire du demi-fond en devenant le premier homme sous les 3’30 et le premier champion du monde de l’histoire du 1 500 mètres. Ses trois records du monde en l’espace de 19 jours, sur trois distances différentes, auront contribué à sa légende. Sa longue foulée et son style de course font de Steve Cram un athlète exceptionnel. Le britannique était capable de remporter tout type de course, tactique ou rapide, grâce à un finish dévastateur. Steve Cram est toujours recordman britannique du 1 500 mètres, du mile et du 2 000 mètres et reste second du 800 et du 1 000 mètres derrière Sebastian Coe. « The Jarrow Arrow » n’a jamais vraiment arrêté de sillonner les pistes d’athlétisme puisqu’il commente les épreuves d’athlétisme pour la BBC depuis 1999. Et il continue toujours autant de faire vibrer le public britannique grâce à ses commentaires avisés !

Steve Cram est désormais commentateur pour la BBC

S’il ne fallait retenir que cinq choses sur Steve Cram, ce serait :
– Premier homme sous les 3’30 au 1500 mètres, à Nice en 1985, dans une course où Saïd Aouïta passe lui aussi sous les 3’30.
– En 1985, il bat trois records du monde en 19 jours sur trois distances différentes. C’est inédit dans l’histoire.
– Premier champion du monde du 1500m, en 1983.
– A 17 ans, il participe déjà aux Jeux du Commonwealth notamment grâce à ses 3’57’’42 au mile (meilleure performance mondiale des moins de 18 ans).
– Il est depuis 1999 commentateur de l’athlétisme sur la BBC.

 

Ses records personnels :
800m : 1’42 »88
1 000m : 2’12 »88
1 500m : 3’29 »67
Mile : 3’46 »32
2 000m : 4’51 »39
3 000m : 7’43 »1
5 000m : 13’28 »58
10K : 28’23

Site officiel de Steve Cram, qui présente entre autres ses nouvelles activités.

Finale des championnats du monde d’Helsiniki, Steve Cram l’emporte

Steve Cram devient vice-champion olympique en 1984, derrière Seb Coe

Steve Cram devient le premier homme sous les 3’30

Steve Cram échoue au pied du podium et passe tout proche du titre olympique (1988)