L’entrainement en demi-fond par Fodil Dehiba : Partie 2

Bonjour Fodil, nous poursuivons l’échange que nous avons eu dans un entretien précédent où tu évoquais ton expérience du haut niveau par l’accompagnement de ta femme Hind (à retrouver ici), mais pas seulement… Penses tu qu’il y a une méthode et des bases qui seraient spécifiques à cette pratique à haut niveau ?

Non bien sûr par le simple fait qu’il y a tellement de contre-exemples d’athlètes ayant réussis différemment, que je peux seulement dire que l’entraînement ne peut pas être complètement compris d’un bloc, et qu’il n’y pas une, mais mille méthodes. Ceux qui pensent le contraire se trompent.

A ce sujet et pour être concret , en France on a eu par exemple nos vieux dinosaures de l’entraînement qui ont eu du mal à évoluer car nous avons rencontré dans les années 1990 un changement radical dans l’entraînement des ½ fondeurs venu de l’apport des athlètes maghrébins naturalisés. Ce qui a quelque peu battu en brèche certaines certitudes jusqu’alors bien établies en France.

C’est un peu polémique comme propos non ? Tu peux étayer ou développer ton propos?

Oui, en effet c’est un peu polémique mais de mes échanges avec certains athlètes étrangers hommes et femmes arrivés en France à ce moment là j’ai pu entendre qu’ils n’avaient pas été compris dans leurs habitudes d’entraînement par les cadres techniques français. Par exemple certains de ces cadres n’avaient pas l’habitude d’aller en stage à l’étranger et ne connaissaient que Font Romeu comme site d’entraînement en altitude et ce sans chercher à comprendre l’intérêt d’autres sites. Pour moi ça et pour être clair ca pointe du doigt un système relativement consanguin et qui ne cherchait pas à évoluer. Il y a eu ainsi une période compliquée pour ces athlètes naturalisés pourtant pour beaucoup ensuite, et d’excellent coureurs comme Ismaël Sghir, Hassan Lassini, ou Driss Mazouzi ont eu beaucoup de mal à être compris dans leur méthode de travail, axé sur un gros travail foncier, de musculation et d’altitude. De plus comme ces coureurs avaient la possibilité d’être bons sur plusieurs distances, ça a été un choc pour beaucoup et seulement quelques entraîneurs ont su s’adapter comme Philippe Dupont qui a eu des résultats avec l’Algérien Ali Saïd Sief (Vice Champion Olympique en 2000 sur 5000m avec des chronos à 3’29’’ sur 1500, 7’24’’ sur 3000m et 12’49’’ sur 5000m). D’autres sont restés reclus et ne se sont pas assez ouverts même si quelqu’un comme Jean Michel Dirringer a ouvert une porte en évoluant sur sa conception de l’entraînement en l’apportant à Medhi Baala très jeune avec la réussite qu’on lui connaît.

Ok mais toi dans tout ça, comment as tu fait ce constat dans ta pratique propre de l’entraînement ?

J’étais un jeune athlète à l’époque et j’ai pu accompagner et partager des entraînement avec ces athlètes (loin derrière cependant) et j’ai vu de l’intérieur que leurs programmations étaient pertinentes, bien calculée, pesée, millimétrée … j’ai donc naturellement adhéré à cette méthode. C’était quelque part le fruit de l’école Marocaine, dont Saïd Aouita a été le précurseur, et tous ces athlètes ont évolué avec ces principes de base de l’entraînement. Parmi ceux là, un m’a particulièrement marqué en la personne de Driss Mazouzi, athlète de Haut niveau mondial faut il le rappeler (Champion du Monde Indoor sur 1500m et Médaillé de Bronze au Mondiaux 2001) car lui en plus n’avait pas d’entraîneur ! Aujourd’hui encore ça reste pour moi un exemple, car il avait compris tout l’entraînement et il savait aussi écouter son corps. Je déplore d’ailleurs qu’après sa carrière de coureur, on ne lui a pas donné sa chance, alors qu’il avait tellement à apporter à la discipline en France.

C’est a dire… On lui a mis des bâtons dans les roues ?

Disons qu’on ne l’a pas aidé à passer des diplômes professionnels, et qu’au contraire on s’est « arrangé » pour qu’il reste un peu à l’écart de ces process de validation… un beau gachis !

Maintenant tous les entraîneurs Français de Haut Niveau ont reçu cette influence car ils ont du s’adapter, certains ont résisté mais au bout d’un moment les athlètes ont pris le pas sur ces entraîneurs, car ils avaient compris qu’ils leur manquaient quelques choses pour rivaliser avec le niveau international. Même Bruno Gager, qui ne prescrivait jamais un footing de plus de 30minutes pour les coureurs de 800m a du revoir sa copie au fil du temps, souvent sur insistance des athlètes en plus. Mais l’essentiel n’est pas là car maintenant il a selon moi davantage d’armes pour exploiter ses excellentes compétences techniques par ailleurs. On le voit bien avec Pierre Ambroise Bosse aujourd’hui…

Tu dis que les entraîneurs en général se sont adaptés. Mais comment donc alors ?

Les entraîneurs sont devenus demandeurs d’expériences à l’étranger, ils sont allés en stage aux USA, au Kenya, au Maroc, en Ethiopie ou en Afrique de sud. Et là sur les sites ils ont rencontrés d’autres pratiques et visions de l’entraînement, ils ont pu et peuvent encore échanger, c’est la mondialisation. Moi J’ai eu la chance de faire cela jeune à la fin des années 1990, c’est même comme cela que j’ai rencontré mon épouse !

Au delà de ces constats sur cette pratique d’excellence à l’age adulte quels sont alors les incontournables pour avoir un demi-fondeur opérationnel pour cette entrée dans le haut niveau en demi-fond ?

Sur ce point, je pense qu’un athlète qui aura énormément travaillé sa VMA et son foncier (grâce au football par exemple, à la natation ou au cyclisme etc..) avant la puberté , c’est a dire en moyenne entre 13 et 17 ans, car il existe un décalage entre fille et garçon, aura plus de chance de faire une longue carrière s’il atteint le Haut niveau en ce sens que pour performer, il n’aura pas besoin d’attendre 30 ans et un certain volume de travail comme c’est encore le cas en France .

C’est la première clef de la réussite. Un autre point me parait intéressant, c’est le développement des qualités neuromotrices. Ainsi un enfant (entre 4 et 10 ans) qui aura pratiqué un sport tonique très jeune, pourrait être mieux disposé a faire plus du Haut Niveau plus tard, car cette acquis reste à vie et il se développe très facilement chez les enfants. Des sports comme le Taekwondo, le Karaté, la gym, le patinage artistique ou simplement la corde a sauter ou l’élastique dans les cours de récréations permettent, en s’amusant, de développer un réseau neuromoteur qui va capter plus de fibres musculaires en en améliorant notamment l’efficience et la rapidité d’exécution. Ce développement me paraît en tout cas essentiel pour faire une belle carrière de Haut Niveau en ½ fond.

Effectivement mais on en est parfois assez loin et sans trop de maîtrise dans la formation de ces athletes, au regard des parcours hasardeux de nombreux athlètes confirmés ?

C’est le problème, et il y a toujours un problème, c’est qu’il est impossible de préparer à coup sûr actuellement en France un athlète aussi tôt. Ce sont uniquement les circonstances de la vie qui peuvent amener un jeune adolescent sur le stade. Si par chance, il a pratiqué des sports ou eu une hygiène de vie qui ont développé ces qualités (sur un patrimoine génétique prédisposé qui plus est) alors on peut avoir un diamant brut susceptible d’aller à très Haut niveau.

La chose à faire aussi est peut être d’aider ce jeune à se forger un mental de guerrier.

C’est facile et presque inné chez certains comme un Mahiedine Mekhissi ou ma femme Hind et ça leur donne toute la détermination nécessaire pour un entraînement sans concession. Mais a contrario quand tu as un jeune talentueux qui n’a pas cette hargne, c’est plus dur car il ne faut pas oublier que l’athlétisme est une école de la vie et c’est ceux qui ont le plus faim qui réussissent le plus souvent. Notre difficulté d’entraîneur sera alors de les aider à canaliser cette énergie et ça, aucun bouquin ne pourra nous l’apprendre. On se cassera les dents autant de fois qu’il le faudra pour comprendre comment le gérer. Car chaque individu est unique et on doit tout recommencer à zéro à chaque fois. C’est ce que j’aime le plus dans le sport.

Revenons en au haut niveau… Beaucoup de demi-fondeurs passent plus de temps à l’étranger en altitude que chez eux. Est ce néanmoins nécessaire ? Faut il une grande maîtrise du processus d’entraînement en altitude pour cela ?

Je le pense. J’ai tenté beaucoup de formule d’entraînement en altitude possibles et il y en a deux qui me sont apparues comme efficaces et… réalisables. Là-dessus, on est plusieurs à avoir fait ce même constat car pour en avoir parlé avec Philippe Dupont il y a quelques années, on a compris que des stages longs avaient des inconvénients. Ils sont très difficiles à assimiler au niveau de la récupération post-stage. Ils augmentent les risques de blessures à cause de la déshydratation qui y est plus prononcé (problèmes de tendinites récurrentes par exemple) et sur la durée ils entraînent aussi une perte de la masse musculaire.

Pour moi , La durée moyenne de 19 à 22 jours avec la technique du« High-High » (vivre-dormir et s’entraîner en altitude) reste le dispositif le plus efficace, mais à condition de renouveler cela plusieurs fois dans la saison, en espaçant les sessions en altitude d’un délai de 8 à 15 jours au niveau de la mer.

Si on fait bien attention à respecter ce principe, on voit les résultats très vite.

Après, la technique du High-Low elle (dormir en altitude et s’entraîner au niveau de la mer) est censée être plus efficace en absolu, mais peu de site dans le monde permettent d’éviter de long trajet journalier en voiture pour redescendre au niveau de mer en soirée. En théorie c’est mieux, mais difficilement réalisable car trop contraignant.

Ce qui fait que par exemple sur la base de la première méthode , nous avions ainsi avec Hind un pied à terre à Rabat (Niveau de la Mer) à 2 heures de route d’Ifrane (Altitude 1700 mètres), pour nous permettre de monter et descendre d’altitude toute les 3 semaines sans faire trop de dépenses et ainsi pouvoir faire un travail de qualité et de foncier très efficace.

Et cela n’est pas possible en France ? Avec le site de Font Romeu par exemple ?

En France on pourrait faire cela en habitant dans le sud Ouest ou près de Perpignan. Mais la neige l’hiver ne rend cela possible que l’été. C’est pour cela que l’hiver on va devoir rechercher de bonnes conditions climatiques sur le plateau du Nouveau Mexique, la vallée du Rift, l’Atlas voir Ténérife pour certains. C’est l’avantage de ces sites que de permettre cela toute l’année.

Et la tente à Hypoxie ?

La tente à Hypoxie est aussi un outil que l’on peut greffer sur l’entraînement. Plusieurs athlètes de l’équipe de France utilisent cette technique ou celle des chambres à Hypoxie (Prémanon, Insep, Doha etc…). Là pour ce qui me concerne, je suis allé à la pêche aux infos vers les cyclistes et les skieurs de fond et biathlètes. J’ai commencé en 2012 à travailler avec ces méthodes en Very High-Low (dormir à 3000m en tente à Hypoxie, vivre et s’entraîner au niveau de la mer, mot que j’ai « inventé »pour expliquer la méthode) mais aussi en Very High-High (dormir en tente Hypoxique à 3000m mais vivre et s’entraîner à 1700m). Mais pour être honnête j’ai mis 3 ans de recherche et surtout de réflexion avant de l’utiliser. Et dans mes contacts, j’ai eu quand même du mal à faire accepter l’idée de la tente aux anciens, car ils sont plus méfiants par rapport à la nouveauté, aussi je la recommande d’abord aux jeunes athlètes de 20 ans. Dans la pratique d’ailleurs le prix moyen d’une tente étant de 6000 euros, il vaut mieux en acheter une au début de sa carrière, ça en amorti le coût d’autant, avec l’aide de la Préparation Olympique par exemple pour ceux qui le peuvent.

Mais bien entendu, il est aussi important de rappeler que cet outil permet aussi de résoudre les problèmes de calendrier à l’approche des compétitions importantes lorsque l’athlète ne peut pas monter en altitude et qu’il doit enchaîner des compétitions. L’apport de cet outil permet ainsi de gagner en moyenne 4% en hématocrite, ce qui se ressent forcément au niveau de la performance.

Ca devient fin et poussé comme approche. Il n’y a pas de risque de se planter notamment lorsque l’échéance compétitive est là toute proche ?

Là aussi il faut écouter son corps, et y aller progressivement pour trouver son altitude idéale et celle que ne pénalisera pas le sportif. C’est une question de précaution mais aussi de bon sens dans l’intérêt de l’athlete et de ses performances. Je vous propose un tableau explicatif (ICI) qui s’inspire pour la partie verte de la thèse de Doctorat de Laurent Schmitt, un des rares doctorant en France à s’être penché sur cette étude de l’Hypoxie .

Pour compléter la partie droite rosée du document est une suggestion constatée et discutée avec des amis entraîneurs sur plusieurs athlètes de niveau International. Ca reste une suggestion car ces observations n’ont pu être faites que sur un nombre restreint d’athlètes ayant eu accès a ces méthodes… personne n’ayant encore compilé les données et croisé les résultats des Athlètes, Nageurs, Skieurs et Cyclistes adeptes de cette pratique.

Effectivement. Une dernière question sur l’échange des expériences… Tu évoques beaucoup de relations de circonstances en stage et sans doute aussi en compétition mais dans quelle mesure serais tu intéressés par des retours et échange avec d’autres entraîneurs, via l’AEFA, la fédération ou d’autres réseaux plus modernes (facebook etc) ?

Je suis déjà intervenu dans la revue de l’AEFA en septembre 2010, après le succès des Championnats d’Europe de Barcelone dont Hind faisait partie et je l’accepterai de nouveau de bon cœur si on me le proposait. Après régulièrement je suis contacté par email, téléphone ou via les réseaux sociaux pour des questions spécifiques liés à l’entraînement, et je ne manque jamais d’y répondre. Même sur Facebook. Mais cela est peut être insuffisant… Enfin je le pense.