Entretien avec Fodil Dehiba

Entretien avec Fodil Dehiba, entraîneur en demi-fond, qui nous parle de sa passion et de son engagement d’entraîneur spécialisé.  

Bonjour Fodil et merci pour cette opportunité d’interview. Tu as entraîné à haut niveau et  précisément  ta femme Hind, alors pour commencer , comment es tu venu concrètement  à l’entraînement ?

En premier lieu je tiens à vous remercier également pour m’avoir proposé cette interview. J’ai tout bonnement commencé à entraîner par hasard, un challenge s’est présenté à moi et je me suis dit  « OK, on essaie, mais on le fait à ma manière », parce que j’ai toujours essayé de comprendre et d’analyser les entraînements que mes entraîneurs me proposaient lorsque j’étais athlète. Il ne faut jamais oublier d’où l’on vient…

C’est à dire , quelles sont ces références ?

Je citerai avant tout deux noms, avec Christian Courtecuisse qui a eu une multitude d’Internationaux Jeunes et de grands spécialistes de cross. C’est lui qui m’a formé et amené à un titre de champion de France Espoir sur 10000m en 1997 . Plus tard lorsque je suis arrivé sur Paris c’est Nino Graziani qui a pris le relais en m’orientant sur des distances plus courtes (3000m en 8’07’’) et en m’initiant à la méthode Marocaine, lui-même ayant épousé comme moi une athlète Marocaine talentueuse (Zohra Khoulou). J’ai aussi en référence des éducateurs de l’athlétisme comme Philippe Foulquier ou Cécile Audineau (Prof de collèges). Ils m’ont appris la rigueur, le goût de l’effort…

Mais malgré ces bases je sentais qu’il me manquait quelque chose, une touche de complexité, d’insaisissable, de quasi mystérieux. Quelques choses que peu de gens peuvent comprendre sur l’entraînement. Et ces quelques choses je les ai découvertes auprès de Saïd Aouita (Champion Olympique et ancien Recordman du Monde du 1500m et 5000m) après l’avoir rencontré à Albuquerque (USA) en 2003 sur un stage en altitude. Pour schématiser cet ensemble j’aime dire que la construction d’un champion, c’est la construction d’une pyramide : mes entraîneurs m’ont appris à construire les fondations et la base, Saïd m’a appris comment aller jusqu’en haut sans que ça se casse la gueule. Et c’est grâce à ça que j’ai pu me lancer en tant qu’entraîneur.

C’est ce que tu as donc fait avec ta femme, Hind. A quelle occasion précisément ?

C’était en 2003 et j’étais encore athlète lorsque Hind a repris l’entraînement avec moi, après 5 ans d’arrêt ! Elle avait un palmarès jeune hors norme entre minime et junior et pratiquement tous les records Nationaux du Maroc. Bizarrement on a commencé par la fin, puisque je l’ai tout de suite aidée à se qualifier aux Jeux Olympiques d’Athènes en 2004. Ni elle ni moi n’étions préparés, on a appris dans le dur et il m’a fallu emmagasiner le maximum d’expérience tout de suite. J’ai du arrêter ma carrière de coureur alors et  me  consacrer à elle à 100%. Ca n’a pas toujours été facile, j’étais un jeune entraîneur(28 ans) et qualifier une athlète aux JO m’a appris comment fonctionne le système. Hind m’a permis d’apprendre et surtout de savoir coller les petits bouts, comprendre comment fonctionne le corps, en plus un corps féminin avec ses bouleversements hormonaux que nous les hommes ne pouvons pas comprendre a priori. J’ai toujours essayé les méthodes d’entraînements sur moi-même pour comprendre comment elle allait les supporter et les digérer, et à un moment j’ai compris qu’il fallait écouter mes intuitions, les laisser prendre le pas sur ce que j’avais appris , pour pouvoir me faire ma propre conception de l’entraînement.

Ifrane 2010-04-24 043

A quel moment situes tu cette prise de conscience . Rapidement en 2004 ou plus tard au fil de la carrière d’Hind ?

Je pense que je suis devenu un « vrai » entraîneur seulement en 2009, une fois que j’avais enfin compris comment fonctionnait la physiologie de l’entraînement, et sans avoir fait d’études à ce moment là bien sûr. Hind m’a permis de l’aider à  battre 3 records de France sur 1500m  (4’00’’49 en plein air à Rieti en 2005 et 4’05’’67 en salle à Moscou en  2006, puis 3’59’’76 à Paris en 2010) gagné les France Indoor 2004, 2005 et 2011 et les France Elites en 2005, 2006, 2009, 2011 et 2012, et une victoire sur 800m en 2009. Je n’oublie pas une médaille de Bronze au Championnat d’Europe Indoor de Madrid 2005, puis une autre d’Argent en plein air à  Barcelone en 2010.  Ma victoire préférée reste la Coupe Continentale en 2010 devant  2 Championnes Olympiques, celle de Pékin 2008 et Londres 2012. Malheureusement pour elle cette année là n’était pas une année Olympique… Elle a aussi été 2 fois 4éme des championnats du Monde Indoor en 2006 et 2012.Sans oublier un record personnel sur 800m de 1’58’63. Ca a été beaucoup de satisfactions qui ont aussi contribué à me faire prendre conscience de mon rôle d’entraîneur.

Est ce la seule expérience d’entraînement « sérieux » que tu as eu ?

Non , J’ai aussi conseillé d’autres athlètes, et certains ont fait les Jeux Olympiques ou d’autres compétition Internationales, mais jamais je n’étais leur entraîneur principal à temps complet, m’investissant pour cela exclusivement avec Hind. Souvent on me  contacte pour apporter une analyse sur une planification qui ne porte pas ses fruits. Je me considère comme pas trop mauvais pour coller des rustines, si on peut appeler ça comme ça, car j’essaie de proposer des choses après analyse pour redresser la barre.  J’ai l’exemple En 2008, d’Ali Sief qui voulait se qualifier une dernière fois aux JO de Pékin sur 5000m, j’ai essayé de l’aider, on était amis, le dialogue était différent qu’avec un autre athlète, il venait avec nous en stage et habitait près de chez nous sur Paris, c’était une autre approche et j’ai aimé cette simplicité dans notre relation. Parfois d’ailleurs il demandait un planning a Michel Disch et me demandait ensuite mon avis. Comme j’aime beaucoup l’homme et l’entraîneur qu’est Michel, j’ai acquis ainsi  grâce à Ali, une touche Disch , pour un entraînement cohérent et efficace . Au passage c’est aussi un moyen de se perfectionner dans l’entraînement que de composer  en prenant des choses de quelqu’un d’autre pour les  compléter avec ses propres acquis.

D’autres expériences intéressantes encore ?

Oui d’une certaine manière j’ai renouvelé cela  4 ans plus tard avec davantage de succès,  lorsqu’un autre ami étranger, Abdelaati Iguider, Champion du Monde Indoor sur 1500 m m’a demandé en 2012 de l’aider à trouver une solution car il était en mauvaise posture à deux mois des Jeux Olympique de Londres. Dans la même démarche je lui ai proposé d’alléger ses séances, de chercher plus de vitesse, de faire du travail tampon au lactique, de soigner plus la récupération et je suis même parvenu à lui faire tenter pour cela le sommeil en tente à Hypoxie 1 mois avant les JO. Il a cartonné aux JO (3e sur 1500m et 6e sur 5000m) et au delà de cette satisfaction, ça m’a aussi fait prendre conscience qu’il fallait que je cherche à me professionnaliser.

C’est à dire ?  plus précisément ?

J’ai commencé à m’orienter vers des études en Sciences du Sport. Tout ce que j’avais appris en plus de 10 ans ne peut pas être jeté à la poubelle, mais il me fallait des diplômes sérieux et reconnus pour commencer à transmettre aux entraîneurs demandeurs, mes expériences.  J’ai donc obtenue un Diplôme Universitaire Européen de Préparateur Physique à l’Université LYON 1 et je vais prochainement me lancer sur un autre diplôme.

Plus généralement aujourd’hui comment te situes tu dans l’entraînement ? Seulement dans la quête d’excellence auprès d’athlètes d’exception comme Hind ou ouverts à d’autres niveaux de pratiques ?

Je n’ai pas entraîné que du Haut Niveau car j’ai été pendant longtemps moniteur de sport chez les Sapeurs Pompiers de Paris où j’avais la responsabilité de plus de 1600 hommes et femmes chaque année : je devais les préparer pour les challenges de Cross Pompiers et Militaires. J’ai entraîné de nombreux collègues pour préparer le marathon de Paris, les trails ou les Championnats du Monde Pompier. J’ai touché à tout, ça m’a permis de garder un équilibre et de transmettre aux autres ce que j’avais appris au contact d’Hind.  

Tu as évoqué tout a l’heure ton DUEPP de préparateur physique . Comment cela se positionne t’il par rapport à ton vécu d’entraîneur de demi-fond ? Quelles sont les adhérences entre une préparation physique dédiée et le travail classique du demi-fondeur  selon toi?

Lorsque je me suis présenté au DUEPP, j’avais  le sentiment d’avoir beaucoup de choses encore à apprendre  dans le domaine de la musculation et de la pliométrie. J’étais convaincu que c’était mon point faible car les autres entraîneurs Français me semblaient excellents sur ces points, alors qu’a contrario ils m’apparaissent plus « soft » sur le travail à allure spécifique. Ma première constatation fut de constater que j’avais tort de m’inquiéter . Ce Diplôme m’a conforté sur ma pratique et mes expériences d’entraîneur. Mais ma plus grande surprise, ça a été de constater que beaucoup de choses que j’avais lues dans des bouquins d’entraînement des années 1980 ou 1990 étaient fausses car la science avait pu apporter des réponses dans des domaines où tout le monde croyait être dans le vrai sans que cela ne soit vraiment acquis sur le terrain

Est ce que cela veux dire que tu remets en doute des études scientifiques poussées ou c’est plus subtil que cela ?

Disons que j’ai  fait une mise à jour de mes connaissances et j’ai compris que j’avais eu raison de faire confiance à mon intuition lorsque les choses compliquées arrivaient dans la pratique à l’entraînement . Bien sûr concernant la physiologie et les substrats énergétiques, ces études nous ont appris des choses précieuses qui nous aident à comprendre les directions à suivre dans l’entraînement. Mais  ce que j’ai apprécié à travers ce parcours, ça a été de comprendre des choses sur le terrain sans avoir les bagages scientifiques ,  d’obtenir des résultats et ensuite de retourner sur les bancs de la Fac pour constater que cette compréhension avait été juste. Après grâce à ce DUEPP, j’ai pu apprendre et me perfectionner sur de nombreuses choses , sur des méthodes alternatives de l’entraînement en musculation par exemple, en utilisant d’autres outils que ceux que j’avais pris l’habitude d’utiliser depuis des années. Il est important de proposer des nouveautés à l’entraînement, pour éviter la monotonie ,et surtout en musculation avec d’autres techniques toutes aussi efficaces et souvent moins traumatisantes en employant par exemple  un matériel plus adapté aux jeunes.  Le DUEPP m’a aussi obligé a me poser et à réfléchir comment améliorer l’organisation de l’entraînement, à prendre du recul et à regarder ailleurs dans les autres sports ce que je pouvais transférer à l’athlétisme et faire même l’inverse avec les collègues du Football, du Handball et du Rugby. J’ai pu ainsi élaborer. Une trame de circuit training planifié sur l’année, avec son évolution au fil de la saison et des phases de développements. Je ne l’avais jamais trouvé nulle part et  j’ai fait quelque chose de simple , en pratique sur environ 60 séances et allant de la reprise de l’entraînement jusqu’aux séances Spécifiques et Lactiques finales situées environ 2 semaines avant la compétition cible .

Est ce à dire que ce plan peut constituer selon toi une trame possible dans la structure d’une planification de demi fondeur ?

Bien sur ce plan ne fait pas tout, et je vous le propose en lecture pour le site  ICI.

Mais il dépend de ce que l’entraîneur va incorporer dans la partie course à pied à coté. Ce plan peut ainsi aider à construire plus efficacement  la planification pour préparer le 800 et surtout le 1500m. Comment alors l’intégrer, le planifier, y intégrer les grosses séances foncières  et les séances spécifiques ou l’adapter aux jeunes pour en tirer les plus grands bénéfices, c’est là que le travail sur le terrain de l’entraîneur prend tout sons sens .

En plus de cela j’ai pu aussi revisiter tout ce que les stages en altitude m’avaient apporté, car c’est peut être le domaine dans lequel je pense être le plus à l’aise. Je passe 6 mois en altitude par an depuis 15 ans (un peu moins depuis deux ans, je suis papa depuis), et je pense maîtriser le sujet . Là aussi la science m’a apporté des réponses lors de ce DUEPP sur des choses que je savais mais que je ne m’expliquais pas scientifiquement.

Encore une fois on pourrait me dire que j’ai fait les choses à l’envers, mais j’ai toujours plus écouté les coachs de terrains avant d’écouter ceux des labos

Oui mais comment vois tu cela pour un jeune entraîneur aujourd’hui ?

Nous avons en France un très bon système de formation d’entraîneurs mis en place par la structure fédérale. J’en suis convaincu. Pour la base et le développement des jeunes, la fédération a construit des formations et des outils très intéressants, en oeuvrant avec des entraîneurs et éducateurs reconnus. Mais en matière de demi-fond il y a encore un problème dans la transmission du savoir pour l’accès à Haut niveau. Il y a peu de communication selon moi, peut être a cause de problèmes d’ego ou tout simplement par peur d’ouvrir des possibilités à de jeunes entraîneurs, voire de leur piquer leur athlète un peu plus tard. Il ne faut pas se mentir et ne pas être hypocrite. C’est pour cela que je n’ai jamais fermé la porte à un entraîneur qui me sollicitait pour des conseils.  Saïd Aouita a toujours décroché son téléphone à mes débuts d’entraîneur pour répondre à mes questions, qui étaient en plus parfois stupides ou du moins basiques pour lui. Il m’a expliqué sa conception du développement aérobie et de la puissance-vitesse. Il m’a même montré des exercices de Musculation avec Médecine Ball que je n’ai jamais vu ailleurs depuis. Tous ses conseils, je les transmet maintenant aux Jeunes. Lorsque mon ami Zouhir Foughali me demande d’initier Alexandre Saddedine (Champion de France junior de Cross, récent vice champion de France Senior de cross court ) et Bilal Abdelmouni (champion de France Junior 1500m) à leurs premières séances de musculation,  il me permet de transmettre à la future génération de champion quelques choses qu’ils garderont toute leur vie.

Cet échange entre entraîneurs te semble important et renvoie à ta propre expérience mais comment la conçois tu alors entre entraîneurs  dans le contexte du demi fond français actuel ?

C’est une bonne question. Je me reconnais par exemple beaucoup en Zouhir Foughali car nous avons gagné des médailles pour la France, et nous n’étions pas diplômés. L’athlétisme est notre vie et notre conception de l’entraînement à une influence Marocaine (alors que nous sommes d’origine Algérienne tous les deux d’ailleurs). Mais le concernant par exemple , alors qu’il aura formé et gagné une médaille d’Argent Olympique avec Mahiedine Mekhissi, il n’a jamais été sollicité pour encadrer un stage Fédéral jeune ou  été encouragé a suivre des formations pour l’amener a se professionnaliser. C’’est incompréhensible. On a clairement là un exemple du problème de la transmission des connaissances en France et je me sens moi aussi concerné à titre personnel même si mon franc parler ne m’a sans doute pas toujours servi pour cela …

Si on avait eu les mêmes résultats dans un autre pays, on nous aurait aidés à monter des structures et encourager à encadrer sur des stages les jeunes ou à transmettre nos expériences auprès des autres entraîneurs …