Ron Clarke, l’homme des records

Les dieux de l’Olympe n’ont jamais sacré Ron Clarke, ce qui ne l’empêchera pas de devenir une véritable légende du demi-fond. Formidable coureur de train, sa seule médaille olympique décrochée à Tokyo ne révèle en rien le talent de celui qui a battu pas moins de 17 records du monde, des 2 miles au 20 000m, tout au long de sa carrière.

Ronald William Clarke, plus connu sous le nom de Ron Clarke naît le 21 février 1937 à Melbourne. Passionné de cricket et de football australien, ses talents athlétiques se révèlent rapidement puisqu’en 1956, il détient déjà le record du monde du mile en catégorie junior (4’06’’8). Il a la chance de courir très jeune aux côtés de ses compatriotes John Landy (médaillé de bronze des JO en 1956 sur 1500m), Mervyn Lincoln ou encore le champion olympique du 1500m à Rome, Herbert Elliott.

A l’âge de 19 ans, en guise d’ouverture des Jeux Olympiques de Melbourne, sa ville natale, Ron Clarke allume la vasque olympique. Il est choisi par l’Australie pour sa jeunesse et le futur radieux qu’il semble emprunter. Le demi-fond est mis à l’honneur puisque c’est également John Landy qui prête le serment olympique. Ron Clarke écrira dans son livre « Fixing the Olympics » que cet honneur d’allumer la vasque olympique n’était pour lui qu’un lot de consolation pour ne pas avoir fait partie de l’équipe olympique. En 1956, il doit en effet effectuer son service militaire pour sa patrie, ce qui ruine sa préparation. Bien que porteur de la flamme, il ne fait pas parti des 103 000 spectateurs de la cérémonie, faute de billet, et regarde celle-ci à la télévision.

Malgré un 3’48’’2 au 1500m et un 14’01’’6 au 3 miles (4828 mètres), il se concentre alors sur ses études et joue dans une équipe de football australien (sport très populaire qui ressemble un peu au rugby) pour entretenir sa forme.

Ce n’est qu’en 1961, qu’il se laisse convaincre par ses amis de reprendre l’entraînement et prouve très vite qu’il faut de nouveau compter sur lui. Lors des Jeux du Commonwealth en 1962 à Perth, en Australie, il se classe second des 3 miles, en 13’35’’92, derrière Murray Halberg, champion olympique du 5000m à Rome.

En 1963, après une progression constante, Ron Clarke bat son premier record du monde senior. Il s’agit du record du 10 000 mètres porté à 28’15’’6 ! C’est une réelle surprise puisqu’il améliore son record personnel de près d’une minute et très peu de spectateurs assistent alors à Melbourne à cette performance. On lui promet une grande carrière.

En 1964, année olympique, Ron Clarke court sa première course en Europe et bat nettement le français Michel Jazy sur 5000m en 13’45’’2.

Lors des Jeux de Tokyo, en favori, il prend en main l’allure du 10 000m et passe à la mi-course en 14’06 en pensant user tous ses adversaires. Au contraire le Tunisien Gammoudi et l’américain Billy Mills suivent plutôt facilement le train imprimé par l’australien. A 300m du terme de la course, Gammoudi place une accélération fulgurante que Ron Clarke peine à contrer. Mills, qui revient peu à peu, parvient d’abord à rattraper l’australien à mi-ligne droite puis à l’emporter sur la ligne en devançant le malheureux Gammoudi. Mills créé une énorme surprise. Il n’a jusque là qu’un record à 29’10 et devient le champion olympique du 10 000m le plus inattendu de l’Histoire (en 28’24 »4).

Sur 5000m alors qu’on attend une victoire de Ron Clarke ou de Michel Jazy, ces derniers ne prennent pas suffisamment la course à leur compte, ne plaçant que de rares accélérations qui ne parviennent pas à disloquer suffisamment le peloton. Michel Jazy se fera piéger par l’américain Bob Schul alors que Ron Clarke ne termine que neuvième. Ces deux finales olympiques laisseront un goût amer pour Ron Clarke qui venait à Tokyo pour se parer d’or.

L’année 1965 sera l’année la plus prolifique pour l’Australien, le consolant de l’échec olympique. Peu à l’aise lors des grands championnats, notamment à cause de sa faible pointe de vitesse, Ron Clarke est cependant un homme de train, capable de soutenir des allures folles. Il commence en janvier par un record mondial sur 5000m en 13’34’’8, menant de bout en bout sur une piste en herbe à Melbourne. Il l’abaissera cette année là à 13’25’’8. Le 10 juillet, à Londres il boucle les 3 miles en moins de 13 minutes (12’52’’4) ce que personne n’avait réalisé avant lui. Le 14 juillet, il devient le premier athlète à briser la barrière des 28 minutes au 10 000m, en réalisant 27’39’’4 à Oslo, et en mettant une claque à son record personnel de 36 secondes ! En temps de passage, il améliore également le record mondial des 6 miles (26’47’’), ce qui sera le dernier record mondial de cette distance, par la suite plus reconnue par la fédération internationale. Enfin il effectue, à Geelong en Australie, l’épreuve si particulière de l’heure en 20,231km, synonyme de record du monde.

Pendant cette année 1965, on retiendra également qu’il a couru pour une tournée européenne de 44 jours pas moins de 18 fois, dans 8 pays, et établissant 12 records du monde, dont 9 en 21 jours !

L’année suivante, en 1966, il porte son record mondial sur 5000m à 13’16’’6 (à Stockholm) en devenant le premier homme à battre par quatre fois le record du monde du 5000m (ce que réalisera également par la suite Haile Gebreselassie). En réalité, Ron Clarke reconquiert le record du monde du 5000m que lui avait dépossédé Kip Keino en fin d’année 1965. Pour réaliser cet exploit Clarke s’appuye sur le soutien jusqu’à la mi-course de l’allemand de l’ouest Bodo Tummler qui l’emmène sur des bases folles en 2’39 au 1000m puis en 5’17 au 2000m. Il passe ensuite, seul, en 7’57 au 3000m et en 10’40 au 4000m, terminant donc le dernier kilomètre en 2’36. Le record est amélioré de 7’’6. Il récolte également deux médailles d’argent lors des Jeux du Commonwealth de 1966 à Kingston sur 3 et 6 miles.

En 1967, le fait marquant de sa saison est sa prise du record mondial des 2 miles appartenant à Michel Jazy. Il l’améliore de 2’’8 pour le porter à 8’19’’8, puis en août 1968 à 8’19’’6 à Londres, sur une piste synthétique au rendement supérieur aux pistes en cendrée traditionnelles. Cette piste synthétique, il l’a retrouve aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968.

Ces Jeux de Mexico auraient pu être tragiques pour Ron Clarke. Alors qu’il mène en partie le 10 000m à une allure modérée (14’55’’ au 5000m) il connaît une terrible défaillance. Terminant malgré tout, avec un énorme courage, à la sixième place, Ron Clarke s’écroule de longues minutes à l’arrivée avant d’être finalement réanimé par le docteur Corrigan. Vivant toute l’année au niveau de la mer, il n’aura pas supporté l’altitude de Mexico comme bien d’autres athlètes. Ces Jeux seront l’avènement des coureurs des hauts plateaux, kényans ou éthiopiens. A la suite de cet incident lors du 10 000m, Ron Clarke connaîtra malheureusement quelques séquelles cardiaques.

Sa carrière internationale se termine aux Jeux du Commonwealth en 1970 à Edimbourg où il échoue encore pour le titre et remporte sur 10 000m sa quatrième médaille d’argent aux Jeux du Commonwealth.

Pour conjurer ses malheurs olympiques, la « locomotive » Emil Zatopek lui offrit une de ses quatre médailles d’or olympiques, avec pour quelques mots : « tu la mérites ». L’admiration entre les deux hommes était réciproque. Joli geste !

Malgré l’absence de titres majeurs, il est indéniable que Ron Clarke a révolutionné le demi-fond et le fond en faisant progresser les records du monde du 5000m de 18’’ et celui du 10 000m de 38’’. C’est en quelque sorte un passeur de témoin entre la génération des Nurmi et Zatopek avec celle des Viren et Rono. Ron Clarke connait également un changement majeur avec l’apparition des pistes en tartan dont l’apparition aux yeux du monde se fait à Mexico en 1968. Clarke ne bénéficiera que très peu de ce revêtement et il faudra 6 ans à Lasse Viren pour le déposséder de ses records sur 5000m et 10 000m. L’australien a possédé simultanément tous les records mondiaux des 2 miles aux 20 000m.

Ron Clarke s’est ensuite engagé dans la vie politique et est devenu écrivain ainsi que commentateur sportif.

Récapitulatif de ses records du monde

2 miles
1967 Vasteras 8:19.8
1968 London 8:19.63 miles
1964 Melbourne 13:07.06
1965 Los Angeles 13:00.4
1965 London 12:52.4
1966 Stockholm 12:50.45000m
1965 Hobart 13:34.8
1965 Auckland 13:33.6
1965 Los Angeles 13:25.8
1966 Stockholm 13:16.6
6 miles
1963 Melbourne 27:17.8
1965 Oslo 26:47.010 000m
1963 Melbourne 28:15.6
1965 Oslo 27:39.410 miles
1965 Melbourne 47:12.8

20km
1965 Geelong 59:22.8

1 heure
1965 Geelong 20,232m