Laurent Arzur, l’homme des championnats

En marge des championnats d’Europe de Berlin , rencontre avec l’un des supporters numéros 1 de l’équipe de France depuis de nombreuses années… de ces passionnés qui n’hésitent pas à traverser les océans pour assouvir leur passion et soutenir immanquablement les meilleurs athlètes français … le petit grain de folie en plus parfois.

Bonjour Laurent , tu es donc un fervent supporter des bleus en athlétisme depuis de nombreuses années. Ca remonte à quand exactement ? Une prédisposition familiale ? Un athlète particulier proche que tu as commencé à suivre ? 


Bonjour Ivan, Supporter oui, mais pas que des bleus spécialement. Du sport en général et de l’athlétisme en particulier. J’ai assisté à mes premiers championnats du Monde en 1997 à Athènes. Cette année, Berlin était mon 13e grand championnat en spectateur (2 JO, 8 CM et 3 CE). J’ai aussi assisté à d’autres événements sportifs internationaux en hand, foot et surtout tennis (US Open 2010, Rolland Garros, Open d’Australie 2018, Masters…). Et l’avantage des Jeux Olympiques , c’est qu’on peut assouvir cette passion en voyant d’autres sports (basket, judo, gym, escrime, tennis de table, triathlon…).

La genèse de cette passion remonte à avril 1997. Suite à une déconvenue personnelle, j’avais besoin de changer d’air. J’étais en stage ingénieur Erasmus en Allemagne et mon pote Fabien m’appelle depuis Rouen (fixe, pas de portable, forcément..). Fallait qu’il prenne l’air lui aussi. Alors on a décidé d’aller à Athènes voir les mondiaux. Début de l’histoire…

1997, ca date pas d’hier effectivement , et alors c’était comment ?

Oui, le siècle dernier même. Internet n’en était qu’à ses balbutiements. Pour obtenir des billets d’entrée, on a appelé la FFA qui nous a donné le numéro de l’organisation en Grèce. Une liaison plus que médiocre, un transfert bancaire à l’ancienne et les billets qui arrivent par la poste. A ce moment là tant que tu ne les as pas en main, tu n’y crois pas trop mais ensuite j’ai bossé tout juillet à ramasser des échalotes pour m’offrir mon billet d’avion aller sec, car on avait décidé de revenir en stop, et autres moyens de locomotion bon marché . Une sacrée aventure car au final nous avons quasi tout testé pour ce voyage retour, avec RER local, bus brinquebalant, raffiot .. l’improvisation totale ! Mais aussi un retour riche en épopées : nuits à la belle étoile en Grèce ou sur un parking en Italie ou encore devant la gare à Nice, des brins de toilette dans des jardins publics, visites de Pise, Florence, Rome et quelques villes grecques. Bref un grand moment. T’es juste content quand tu retrouves ton lit chez toi.

Ca ne t’a pas empêché de repartir ensuite ceci dit. De tous ces championnats lesquels t’ont le plus marqué ?

Personnellement il y a eu Athènes bien sûr , avec une histoire de « dingue » que j’aime à raconter car elle situe bien le bonheur et la chance que j’ai pu avoir à cette occasion comme sur la plupart des championnats ensuite .

Ainsi à Athènes, le 4 août 1997, j’étais à la finale du 400m haies de Stéphane Diagana. En 1995, pour sa 3ème place à Goeteborg, quelques jours après son record d’Europe de Lausanne, je faisais un job d’été dans une ferme en écoutant la course sur un tracteur et là, je suis dans le stade… Fabien (mon compagnon de voyage donc) et moi avions pris les places les moins chères et étions seulement contents de nous trouver dans l’enceinte. Mais, l’avantage avec l’athlé, c’est que l’événement ne se passe pas toujours au même endroit. Ca peut être à la perche, à la longueur, en courses. Et le contrôle des billets en tient compte. Le stade était rarement plein et peut-être pour donner une bonne image 7 ans avant les jeux d’Athènes, il fut très facile de descendre dans les gradins. Pour mémoire aussi, on était avant le 11 septembre 2001 et la sécurité était encore très « light » voire artisanale. Ainsi avant la finale du 400 haies, je me mets 20m après la ligne d’arrivée, car on est très près des athlètes dans leurs starts et secrètement, j’avais remarqué que si Diagana gagnait, le premier drapeau français qu’il verrait serait le mien. Et ça se passe comme dans un rêve, pour lui , car il gagne, et pour moi, car il prend mon étendard et commence son tour d’honneur. Il y avait peu de Français dans les tribunes mais quatre à mes côtés, sautent sur la piste et se mettent à courir à côté du hurlder. Je réfléchis deux secondes en pensant finir ma nuit dans les geôles grecques et rejoins finalement les quatre « gaziers » sur la piste . Un max d’adrénaline. Je m’imagine nous faisant conspuer par les commentateurs télé. Les dizaines de photographes flashent Diagana qui signe mon drapeau (premier autographe en tant que champion du Monde) en me le rendant directement sur la piste alors que les différents médias l’attendent. On retourne dans les tribunes et on croise ses parents qui partaient le rejoindre. Leurs larmes coulent sur le visage : un moment très fort. Le lendemain, cerise sur le gâteau, je trouve L’Equipe et je suis en une à côté du champion. Grand souvenir.

Effectivement ..

Oui et c’est comme ça à Athènes que j’ai compris aussi que les athlètes pouvaient être abordés et accessibles. Je suis allé sur la piste d’échauffement avec Gebreselassie lors d’une séance d’étirements, dans la chambre de Moses Kiptanui, Paul Koech, Tom Nyariki et Daniel Komen pour une rencontre improbable .. enfin un vrai bonheur

Mais du coup tu as fait tous les championnats possibles comme cela depuis 1997 ?

Non depuis Athènes, j’ai raté quelques mondiaux. Il faut que la ville ait un attrait touristique ou attise ma curiosité. J’ai manqué Edmonton en 2001 car ça ne me tentait pas et j’étais un peu juste financièrement. Et ne suis pas allé à Pékin 2015 ni à Londres 2017 non plus. Pour raisons personnelles d’abord et puis pour ne pas gâcher des souvenirs car j’avais « fait » les JO en 2008 et 2012 dans ces deux stades et je savais que ce serait forcément moins bien même si le Gatlin-Bolt 2015 et le Bosse 2017 auraient certainement valu le détour ..

Après pour les Europe, je n’y vais pas les années olympiques et ne suis pas allé à Zurich en 2014 car le budget logement-billets était limite indécent pour cette édition. Finalement, c’est le CIO, l’IAAF et l’AEA qui décident du lieu de mes vacances !

Tout ça à un coût aussi. Tu manges des pâtes au beurre toute l’année pour faire ces voyages ?!?

Non mais effectivement faut le vouloir . Pour l’enchaînement Osaka 2007-Pékin 2008, j’avais utilisé une offre de prêt publicitaire de ma banque pour des loisirs. J’y suis allé et quand j’ai expliqué à la banquière que c’était pour aller voir de l’athlé au Japon et en Chine, elle avait été quelque peu surprise (doux euphémisme). D’habitude, cette offre sert plutôt aux gens pour acheter un nouveau frigo ou refaire le papier peint.

Dans le futur, Doha l’année prochaine me tente car je ne suis jamais allé au Moyen-Orient et retourner au Japon en 2020 me dirait bien. Eugene en 2021 serait une bonne raison pour visiter la côte Ouest des USA. A voir car je ne suis plus seul à décider à la maison ( un enfant ca change la donne ).

Et quel est ton plus grand plaisir sur ces compétitions ? 

Ce que j’aime le plus, moi, c’est sentir l’événement, être au cœur du truc. Rentrer dans un grand stade avec une bonne sono, voir tous les cameramens et les photographes essayer de choper la beauté de l’instant, écouter le public qui vibre à la moindre émotion, c’est fort. Et puis quand tu sais comment il faut trimer à l’entraînement pour un « petit » pic de forme, tu admires le haut niveau et imagines tout le travail en amont: l’excellence prend tout son sens alors.

Après être sur ces événements c’est aussi une réponse à mes rêves d’enfance. Mon premier souvenir d’athlé, c’est le quadruplé de Carl Lewis en 1984 à Los Angeles. Et les JO, le top de l’événementiel. Alors y assister, c’était comme aller sur la Lune. Quand en 2008, je me suis retrouvé dans le nid d’oiseau de Pékin, c’était un petit pas pour l’humanité mais un pas de géant pour moi !

J’essaie ensuite de vivre l’événement au plus près. A part peut-être Paris 2003, j’ai toujours tenté de suivre la compétition dans les coulisses. Profiter en vacancier et touriste aussi. Me contenter d’être assis à mon siège et de rentrer à l’hôtel après la soirée ne me convient pas. J’essaie de rencontrer des gens qui sont dans la « place » pour échanger et ressentir l’événement de l’intérieur. Ainsi grâce à des athlètes bretons (Mickaël Thomas, Solen Desert ou encore Charles Delys que je salue à cette occasion), des journalistes (Gilles Bertand, Nelson Monfort), des réalisateurs (Régis Wargnier) j’ai pu être au cœur de la compétition.

Ensuite, faut bien dire que j’aime tenter des choses aussi. Ma règle c’est de ne pas déranger l’athlète et d’être respectueux de l’instant. Mais de fil en aiguille tu peux te retrouver dans des plans sympa : en soirée avec Albert de Monaco, Donovan Bailey, Allen Johnson, Colin Jackson, Justin Gatlin, ou encore Kim Gevaert ; offrir une bière à Jessica Ennis-Hill, fêter le titre de champion du Monde de Ladji Doucouré au club France avec Jean Galfione, Stéphane Diagana, Romain Barras et Maryse Ewanje-Epée, te retrouver au restaurant des athlètes avec Sergeï Bubka, David Rudisha ou Yelena Insinbayeva, à regretter d’être seul avec Usain Bolt sans appareil photo, ou encore croiser Kenenisa Bekele ou discuter avec Christopher Koskei en faisant du shopping (je lui avais donné mon chrono au steeple, il avait souri et m’avait répondu « training training training »)

Parmi toutes ces rencontres , l’une d’elles te restera elle à coup sûr en mémoire ?

Une très belle rencontre reste celle avec Keino Kipchoge dit Kip Keino, premier champion olympique et seul double médaillé d’or kenyan. Ce jour là, Je suis à Osaka dans la rue à 7h du matin. Une rue quasi déserte à attendre le passage du marathon. Il est seul et je lui demande s’il est bien celui que je crois qu’il est. Je pense qu’il n’en est pas encore revenu qu’un jeune blanc-bec puisse le reconnaître ainsi dans une rue japonaise. Pour moi ca restera un moment authentique

Mais sinon depuis 2007, si je pars seul à un événement, j’ai pris l’habitude de tenir un journal de bord pour conserver tous ces souvenirs . Au début je le partageais sur le site du stade brestois athlé (mon club de coeur) et là depuis un an, j’ai fait mon propre blog à la demande de mon épouse pour que mon jeune fils, encore trop jeune pour comprendre, ait une trace de mes voyages.

Il est loin d’être terminé mais grâce aux réseaux sociaux, j’ai pu partager mon voyage à Melbourne pour l’open d’Australie en début d’année et ma semaine berlinoise en août. Si ça peut intéresser, son adresse est http://www.starselfiesport.com

Merci pour nous . Et en 20 ans le sport a changé , professionnalisation, accessibilité , médias .. mais toi as tu pu observer cela ainsi que des particularités sur certaines éditions ?

Sur les particularités , ce qui est intéressant c’est que l’événement ressemble à la culture du pays. En Allemagne, en Hongrie ou en Finlande, les lancers ont une importance plus grande qu’en Espagne ou en Grèce par exemple. Certains pays sont aussi beaucoup plus chauvins. L’exaltation grecque est à l’opposé de l’atmosphère japonaise contenue. La (mé-) connaissance athlétique sud-coréenne est à mille lieues de la culture pointue anglo-saxonne. Les stades espagnols festifs contrastent avec la froideur moscovite ou la sécurité chinoise armée jusqu’aux dents. Le fair-play n’a pas la même signification partout.

A ce propos, et en terme de pur ressenti, le plus grand acte de respect que j’ai pu vivre de la part d’un public à été lors du record du Monde de David Rudisha en 2012 à Londres. Le public a compris très vite que la course allait être légendaire et s’est ensuite levé comme un seul homme pour rendre hommage au champion kenyan. La grande classe. A l’inverse, en Chine en 2008, pour une série du 110m haies, tu retrouves le héros national Liu Xiang qui doit abandonner, sans même courir, et profitant juste d’un faux départ d’un concurrent pour quitter le tartan. Et irrespectueusement, le stade s’est vidé dans la même seconde, sans même attendre que la course ait lieu. Après, ce qui reste ce sont les stars qui transforment les stades en chaudron comme Usain Bolt. Et quand tu es féru d’histoire et de sport comme moi , quand tu assistes à une grande compétition ou événement particulier tu est quand même content de te dire « j’y étais »comme lors des 9’’58 de Bolt ou le dernier concours de perche à Berlin pour ne citer que ces deux exemples.

Et au niveau d’évolutions plus structurelles ? Tu as vu du changement depuis 1997 ?

Un évolution ? Oui. Les prix! En 20 ans et avec le passage à l’euro, ils ont quasiment été multipliés par 10, même s’ils restent aussi un peu liés à la richesse du pays d’accueil. Au niveau de l’organisation, je ne parlerai pas d’évolution mais j’ai vraiment constaté que les JO sont vraiment plus « carrés » qu’un simple championnat d’Europe. Les différences se remarquent dans les à-côtés : les animations autour du stade, la restauration, la présence de sponsors plus ou moins importants suivant l’événement. Mais j’insiste il y a vraiment de grandes différences entre les pays avant tout, comme très basiquement à Berlin en 2009 et 2018, où la bière est autorisée dans le stade et forcément du coup, l’ambiance s’en ressent .. plus gaie, plus spontanée , plus vivante aussi .Après si, sportivement, j’ai l’impression d’avoir senti un changement aux Europe de Berlin cette année. Les athlètes m’ont paru plus essoufflés et marqués à la fin de leurs épreuves. Peut-être que l’interdiction de participer des Russes fait changer les mentalités. Enfin voilà , en quelques mots ..

Et quel bon plan ou conseils donnerais tu à qui voudrait vivre des émotions de fan comme toi ? 

Des conseils je ne sais pas . Par contre ce qui est sûr par exemple c’est que plus l’événement est loin de la France, plus les athlètes français sont heureux d’avoir des supporters car on est peu nombreux.

Un autre « conseil » serait de ne pas avoir peur de vivre pleinement ces émotions . Pour faire une comparaison, il faut presque prendre un championnat comme un interclubs et crier aussi fort qu’on a envie pour encourager les athlètes français. A Osaka, j’avais croisé Mahiedine Mekhissi-Bennabad. Il n’avait pas encore gagné une seule médaille internationale et venait d’être titré champion d’Europe espoirs. Il avait 22ans et s’était montré surpris qu’un gazier vienne au Japon pour « juste » suivre de l’athlétisme. Il n’en revenait pas. Et quand je lui ai dit que je le connaissais, il était encore plus surpris. Autre exemple toujours à Osaka, j’étais collé à la ligne d’arrivée pendant un 400m de Leslie Djhone. J’avais fait une affiche pour lui et crié comme si c’était une dernière ligne droite de 4*400m aux interclubs. J’ai pas mal de voix et ça dénotait forcément avec l’ambiance feutrée des Japonais. Djhone bat le record de France et sur l’instant vient spontanément me remercier juste après la course. Ca fait plaisir et c’est un beau souvenir. Finalement, faut juste se dire que les athlètes sont des gens comme nous avec un niveau plus élevé et en athletisme on a encore la chance d’avoir des sportifs accessibles, ce qui n’est malheureusement pas vrai pour tous les sports. Enfin, pour les selfies souvenirs ou essayer de passer à la télé , au-delà de circonstances particulières (*) j’ai aussi mes petits trucs mais bon je vais m’en garder aussi un peu si je veux continuer à en profiter aussi !

(*) Laurent nous aura avoué qu’en 1998 on l’aura beaucoup vu au côté de Maurice Houvion lors du concours de la perche de Jean Galfione , non pour être « vu à la la TV » mais pour s’économiser des communications téléphoniques coûteuses à lui et sa famille en leur donnant ainsi l’occasion de le voir en « bonne santé » par ce biais !

dav
bty