Pleine conscience, performance et santé chez le coureur

Le projet FeelTheRun, La pleine conscience comme support à la performance et à la santé des coureurs ?

Rencontre avec Alexis Barbry, chercheur en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS), ancien spécialiste du 3000m Steeple et coordinateur d’une étude originale s’intéressant aux effets d’une technique de préparation mentale (la pleine conscience) sur la performance et la santé des coureurs à pied.

Bonjour Alexis, Peux-tu te présenter et nous introduire le sujet que nous allons développer ?
Je m’appelle Alexis Barbry, je suis un ancien spécialiste du 3000m Steeple et désormais titulaire d’un Doctorat de l’Université de Lille en STAPS depuis janvier 2024. J’occupe actuellement un poste d’Attaché Temporaire d’Enseignements et de Recherche (ATER) au sein de l’Université Côte d’Azur (Campus STAPS). J’ai réalisé une thèse doctorale à travers une bourse en Convention Industrielle de Formation par la REcherche (CIFRE) alliant un laboratoire de recherche, l’Unité de Recherche Pluridisciplinaire Sport, Santé, Société (URePSSS) ainsi qu’une association reconnue dans le monde de l’athlétisme : l’Institut des Rencontres de la FOrme (IRFO). Dans le cadre de ce projet de recherche, j’ai été encadré par le Professeur-Docteur Jérémy Coquart (spécialiste de la psychophysiologie de l’exercice), la Maîtresse de conférences-Docteur Annie Carton (spécialiste de la psychologie du sport) et Hervé Ovigneur (le directeur de l’IRFO).
Nous sommes donc là pour vous présenter la dernière partie de ma thèse à travers un projet que nous avons intitulé FeelTheRun et qui avait pour finalité de tester sur le terrain les effets de temps brefs de pleine conscience sur la performance et la santé des coureurs.

Un cadre universitaire donc pour cette étude, mais pas seulement avec ta casquette d’athlète j’imagine ?
En effet c’est aussi à la suite d’une prise de conscience personnelle en 2017 à l’issue d’un Championnat de France Espoir (où j’ai très certainement mal géré mes pensées et mes émotions), que j’ai eu envie d’étudier plus amplement les effets de la préparation mentale (et plus spécifiquement de la pleine conscience) sur la performance et la santé des athlètes.
J’ai pu entreprendre cette étude interventionnelle en partenariat avec le Racing Club d’Arras Athlétisme (RCA Athlé), club où j’ai été licencié durant de nombreuses années et qui a su m’accompagner que ce soit en tant qu’athlète ou en tant que jeune chercheur.

Tu as donc fait pratiquer de la pleine conscience aux athlètes ? En quelques mots, peux-tu nous décrire le protocole que tu as mis en place et expliquer les raisons qui t’ont poussé à t’orienter vers le RCA Athlé ?
Oui effectivement, les athlètes du groupe expérimental ont vécu pendant 8 semaines des interventions brèves de pleine conscience. J’aimerais juste revenir sur ce qu’est et ce que représente la pleine conscience puisqu’elle est parfois associée à une certaine connotation religieuse. La pleine conscience est une technique de préparation mentale laïque visant à faire prendre conscience et à accepter les différentes pensées, émotions et sensations nous traversant (par exemple, lors d’un entraînement). La méditation de pleine conscience est une technique de préparation mentale qui cherche à développer notre capacité d’attention et de concentration en ramenant volontairement notre attention vers ce que l’on appelle des points d’attention favorisant la performance du coureur.


Contenu de l’intervention FeelTheRun
Pour résumer, cette étude a mobilisé 65 coureurs qui ont été aléatoirement tirés au sort soit dans le groupe préparation mental (basé sur des temps brefs de pleine conscience), soit dans le groupe contrôle (interventions sur des thèmes liés à la course à pied mais sans programme de pleine conscience). Les 2 groupes ont réalisé le même programme d’entraînement durant les 8 semaines d’intervention. Ce programme concocté par les entraîneurs du RCA Athlé se composait de 2 séances très intenses (c’est-à-dire, au-dessus du seuil lactique) et d’une sortie longue. Cette étude s’est déroulée entre le mois de septembre et le mois de décembre, ce qui s’associe très généralement à une charge d’entraînement élevée comparée aux autres périodes de la saison.
Le groupe préparation mentale a suivi en plus un programme bref de pleine conscience composé de 5 modules (Psychoéducation, fixation à l’objectif, prise de conscience, acceptation et reconcentration) qui duraient 1 à 2 semaines. L’objectif final de ces différents modules était de développer chez les coureurs ce que nous avons nommé une « routine de performance et de bien-être ». Cette routine vise à prendre conscience et à accepter les pensées, les émotions et les sensations nous traversant lorsque l’intensité de l’entraînement est élevée puis à ramener l’attention vers des points d’attention favorisant la performance.
Plus concrètement, les séances de pleine conscience étaient proposées avant, pendant et après l’entraînement de course à pied. Les athlètes avaient également la possibilité de pratiquer de manière autonome ces exercices de préparation mentale avec des audios qui leur étaient envoyés sur une application mobile.


Mesures réalisées

Différentes prises de mesures ont été réalisées avant et 8 semaines après le programme. Nous avons notamment mesuré la variabilité de la fréquence cardiaque (un indicateur du stress et de la « fatigue » des coureurs), l’endurance cardiorespiratoire,(*1) la condition physique, le bien-être ou encore des habiletés psychologiques à l’effort.
Une fois l’ensemble de ces données récoltés, nous avons effectué des analyses statistiques.
Concernant les raisons qui m’ont poussé à m’orienter vers le RCA Athlé, c’est assez simple. Pour que ce projet fonctionne et que les athlètes s’engagent et s’investissent, il nous fallait de préférence un cadre connu avec des entraîneurs moteurs et investis. C’est donc tout naturellement que nous nous sommes tournés vers le RCA Athlé.

(*1) Pour évaluer l’endurance cardiorespiratoire, le 45-15 de Georges Gacon (Assadi et Lepers, 2012) et le 3’ navette du Diagnoform® (Mouraby et al., 2012) ont été utilisés

Merci pour ces précisions, peux-tu nous en dire davantage sur les résultats statistiques ?
En premier lieu, nous sommes très contents de l’adhésion des athlètes dans ce projet (Figure 1 ci-dessous). Contrairement à d’autres travaux de recherches, nous avons eu peu d’arrêt entre le début et la fin de l’intervention (c’est-à-dire, 65 athlètes au départ pour 55 athlètes à l’arrivée). Pour vous donner quelques chiffres, les coureurs ont pratiqué en moyenne 4,7 séances de pleine conscience / semaine.

Figure 1. Adhésion des coureurs au programme de pleine conscience

Notes. BMM signifie temps brefs de pleine conscience de l’Anglais Brief Mindfulness Meditation.

Différentes raisons permettent d’expliquer cet engagement élevé. Tout d’abord, nous avons mobilisé des temps courts de pleine conscience (5 à 12 minutes) que nous avons inclus à l’intérieur même de l’entraînement. Nous pensons que ces temps brefs répondent aux contraintes temporelles des sportifs d’aujourd’hui qui semblent courir après le temps (*2) . Qui plus est, les entraîneurs ont joué un rôle essentiel dans cet engagement. Le fait de laisser la possibilité aux coureurs de pratiquer de manière autonome la séance de pleine conscience représente un autre point fort de notre intervention permettant ainsi d’expliquer la forte adhésion de nos athlètes. A travers ce dernier point, nous avons ainsi pu favoriser ce que nous appelons en psychologie, le sentiment d’autonomie.

Effets de notre intervention sur les mesures psychologiques
Sur les mesures psychologiques évaluées, nous avons pu observer qu’un programme bref de pleine conscience engendrait une amélioration de la reconcentration à l’effort lorsque l’intensité de l’entraînement est élevée. Autrement dit, à la suite d’un programme de pleine conscience, les athlètes ont davantage la capacité de rediriger intentionnellement leur attention vers des indices favorisant leur performance. Par exemple, lorsqu’ils observaient que leur attention était partie ailleurs qu’à l’entraînement, certains athlètes utilisaient le souffle comme une ancre pour se reconcentrer dans leur séance.

(*2) Burlot et al. (2018)



Figure 2. Re-concentration à l’effort en fonction du temps et du groupe


Nous avons également observé des effets bénéfiques sur le bien-être dans la vie quotidienne des coureurs. C’est-à-dire qu’à la suite de notre intervention, les athlètes ont développé de nouvelles ressources psychologiques pour réguler leur bien-être au sein de leur vie quotidienne. Ils s’investissent davantage dans des activités leur générant du plaisir pour se sentir mieux.


Effets de notre intervention sur les mesures physiques évaluées
A propos des marqueurs physiques, des différences (entre les 2 groupes) ont été observées sur le niveau d’endurance cardiorespiratoire. A la fin des 8 semaines d’intervention, les athlètes du groupe contrôle ont diminué leur endurance cardiorespiratoire probablement dû à la fatigue générée lors de cette période de la saison propice à une augmentation progressive de la charge d’entraînement.
Cependant, malgré cette probable fatigue, l’endurance cardiorespiratoire des coureurs du groupe préparation mentale a stagné tout au long de l’intervention. Cela nous laisse supposer que les athlètes exposés à un programme de pleine conscience ont pu être probablement plus à l’écoute de leurs sensations, adaptant ainsi la vitesse d’entraînement en fonction de ces mêmes sensations (limitant ainsi les effets néfastes de la fatigue).

Ces éléments semblent très intéressants. Pour revenir à ta méthode, as-tu quelques recettes à nous donner pour que ce type de recherche-terrain fonctionne ?
Nous pensons que c’est important que ça soit un projet de club avec plusieurs personnes ressources qui sont prêtes à s’engager et à « vendre » l’étude auprès des athlètes. FeelTheRun a également permis de mettre en synergie différentes entités du club qui n’ont pas nécessairement l’habitude de travailler conjointement. Par exemple, ce projet a permis de faire cohabiter 4 groupes d’entraînements de niveau très hétérogène mais également de faire travailler de concert 4 entraîneurs pour proposer aux athlètes un contenu d’entraînement similaire.
Nous avions également beaucoup réfléchi notamment avec Annie Carton (qui par ailleurs est entraîneure au RCA Athlé) sur la manière d’engager et de maintenir l’engagement des coureurs dans ce type d’intervention. Par exemple, nous avons fait appel à différents athlètes de haut-niveau qui ont présenté à travers une vidéo la manière dont ils utilisaient certaines techniques de préparation mentale dans une logique d’optimisation de leur performance. Ces figures de performance ont pu faire prendre conscience aux athlètes de l’intérêt de travailler la dimension psychologique pour performer.

Pourrais-tu nous préciser quelles sont des séances type de pleine conscience et comment tu as fait pour les inclure dans l’entraînement ?
Nous n’avons pas dés le départ inclus les exercices de pleine conscience à l’intérieur de l’entraînement. Nous les avons intégrés progressivement dans la pratique à partir de la semaine 3 de l’intervention. Au préalable, nous souhaitions que les athlètes soient engagés et éduqués à la pleine conscience. Pour ce faire, nous avons proposé des exercices de base de la pleine conscience comme le body scan qui consiste à porter délibérément son attention au moment présent et plus particulièrement aux sensations émanant du corps. Nous avons également mobilisé la méditation du souffle permettant de faire prendre conscience du vagabondage de notre esprit. Cet exercice est particulièrement intéressant puisqu’il nous permet de ramener notre attention vers le souffle dès que nous remarquons que notre esprit est parti ailleurs qu’à l’exercice (c’est-à-dire, qu’il vagabonde). Une fois ces exercices de base maîtrisés, nous avons demandé aux athlètes de prendre conscience des pensées, des émotions et des sensations présentes lors de leur entraînement et particulièrement lorsque l’intensité de l’exercice est élevée. Puis progressivement, nous leur avons appris à accepter ces pensées, ces émotions et ces sensations désagréables généralement présentes lorsque l’intensité d’effort augmente. Pour finir, à travers le module reconcentration, nous leur avons appris (une fois que les pensées, les émotions et les sensations sont acceptées) à ramener leur attention vers des indices pertinents favorisant leur performance.
Pour le développement de ces séances, nous nous sommes appuyés sur des spécialistes de la préparation mentale, notamment Cécilia Delage (psychologue du sport à l’INSEP) ou Marjorie Bernier (spécialiste de la pleine conscience) qui nous ont permis d’avoir une approche scientifique adapté aux contraintes du terrain.

Merci pour ces détails Alexis. Pour finaliser cette interview, quels conseils pourrais-tu donner à un public d’entraîneurs, d’athlètes, voire de dirigeants de club pour découvrir ou faire découvrir un peu plus les bénéfices et méthodologies de la pleine conscience en préparation mentale ? Peux-tu nous partager aussi des références ou ouvrages pour les plus intéressés de nos lecteurs?
Tout d’abord, j’insisterai sur le fait que la dimension psychologique fait partie intégrante de la performance du sportif. La plupart des modèles théoriques qui ont tâché d’expliquer la performance souligne l’importance de cette dimension pour performer. La préparation mentale est in fine comme la préparation physique, elle nécessite un entraînement régulier. Elle devrait à mon sens être davantage intégrée au sein de l’entraînement des athlètes. A travers cette étude, nous avons pu démontrer qu’il est possible d’intégrer facilement des temps courts de pleine conscience dans le quotidien et dans l’entraînement des coureurs et que ces temps courts engendrent des bénéfices sur la reconcentration à l’effort et le bien-être au quotidien des athlètes. Nous pensons également que cette étude a permis aux athlètes d’être davantage à l’écoute de leurs propres sensations et d’ainsi adapter leur entraînement en fonction de ces dernières. Par exemple, nous nous sommes rendu compte que certains athlètes étaient moins centrés sur des chronos à respecter mais qu’ils adaptaient la vitesse en fonction de leur état physique et psychologique du jour. Pour finir, nous pensons que cette écoute attentive à soi est un élément clé pour optimiser sa performance, notamment sur le long terme.

Par : Alexis Barbry,1-3 Ivan Moreau,4 Jérémy Coquart,1Annie Carton,5 Marjorie Bernier,6 Hervé Ovigneur3 1Univ. Lille, Univ. Artois, Univ. Littoral Côte d’Opale, ULR 7369 – URePSSS – Unité de Recherche Pluridisciplinaire Sport Santé Société, Lille, France. 2Université Côte d’Azur, LAMHESS Lab, Nice, France. 3Institut des Rencontres de la Forme, Wattignies, France. 4Association des Entraîneurs d’Ile-de-France d’Athlétisme 5Univ. Artois, Univ. Lille, Univ. Littoral Côte d’Opale, ULR 7369 – URePSSS – Unité de Recherche Pluridisciplinaire Sport Santé Société, Liévin, France. 6Univ. Brest, Centre de Recherche sur l’Education, l’Apprentissage et la Didactique, CREAD, EA 3875, Brest, France.

Quelques éléments pour découvrir plus amplement le programme FeelTheRun ou plus généralement la méditation de pleine conscience au service de la performance et de la santé.

Lien de la thèse




Livre pour en savoir plus sur pleine conscience et performance




Pour découvrir les vidéos et les audios de FeelTheRun